À un mois de la sortie de « House of Gucci », Ridley Scott se la joue « Rashômon », le temps de reconstituer le dernier duel judiciaire connu sur le territoire français. Mais au-delà des faits historiques, il s’agit d’un retour aux sources pour le metteur en scène, qui retrouve la Dordogne de son premier long-métrage, « Les Duellistes ». Mais alors que le rapport d’oppression et de dominance pèse sur celui-ci, on préférera se concentrer sur les prémices de ses audacieux affrontements. L’analogie est aussi forte que les enjeux qui opposent l’œuvre à la plus récente. Le livre d’Eric Jager semble ainsi tout indiqué pour une riche adaptation, que les scénaristes (Holofcener, Damon, Affleck) tentent une approche en trois chapitres et en autant de points de vue. L’exercice de style séduit, mais tombe rapidement dans la redondance, par manque de nuances et de subtilités par endroit. Mais ce discours s’avère encore plus biaisé, donc peu pertinent, lorsque le récit décide de trancher, sur le dernier regard porté sur la gent féminine.
Cela n’est pas en lien avec les interprètes, jonglant magnifiquement d’un jeu à l’autre. Tout est une question de narration, qui ne dissimule pas ses plaies les plus évidentes. L’ouverture baigne dans une férocité et une tension, au cœur d’un trio qui ne souhaite que se disputer un genre de pouvoir, celui d’un gentilhomme, celui d’un romantique et celui d’une victime. Cet enchaînement suffit amplement à justifier la désillusion des deux mâles alpha et l’intrigue et de leur personnalité à sens unique. Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques Le Gris (Adam Driver) se disputent la parole d’une femme, dont la vie est finalement en jeu. Ces deux frères armes sont rongés par les mœurs d’une société, qui se heurte à sa propre bêtise, ne considérant les femmes qu’à une fonction héréditaire. Sans statut, ni protection sociale, ces dernières cultivent un silence sans fin, dans la douleur. Pourtant, ce sera au détour d’un procès public et engagé que l’on donnera une présence et une voix à Marguerite (Jodie Comer).
L’héroïne de cette tragédie, Scott l’a déjà développée maintes fois, allant d’Ellen Ripley à Gail Harris, en passant par Telma et Louise. La dissection du patriarcat passe ainsi par un élan d’indépendance et de lutte contre la volonté ecclésiastique, car elle fait tout bonnement l’objet d’un débat afin de connaître la vérité. Cette fameuse vérité, pour le rappeler, est annoncée comme pour effacer honteusement le manque d’ouverture d’esprit masculin. Jean et Jacques sont convaincus de leur légitimité, mais chacun de leur portrait ne déverrouille aucunement les portes de la paranoïa, issue éventuelle du second point de vue. Mais il n’en est rien. Un crime a eu lieu, le degré de réception peut légèrement évoluer, mais comment ne pas se révolter dès le premier témoignage visuel ? Cela s’étend à quelques transitions douteuses, mais dont on ne doutera plus de sa puissance émotionnelle dans le dernier acte, où les sentiments croisent le fer.
« Le Dernier Duel » (The Last Duel) n’ôte cependant rien de son côté épique qui fait plaisir à voir. Scott y injecte également cette aura chevaleresque au service d’un duel de regard efficace, où la possession des hommes résonne avec les valeurs des croisades. Ce n’est ni au nom de Dieu, ni au nom de leur héritage qu’ils affrontent leur destin, hormis dans cet ultime affrontement, où Marguerite s’arme de la plus belle promesse d’espoir et de rédemption… jusqu’à la prochaine victime. La structure narrative en devient alors superflue, voire obsolète dans ses premiers tiers, en n’auscultant que cette emprise spectrale masculine et esquivant ses cruelles conséquences. L’aventure passionne par ses propos, mais l’ambiguïté ne sera pas le facteur dominant d’une mise à mort sans concession et sans célébration.