Enfin du cinéma! Du vrai, du beau, du grand, du saignant, de l'intelligent, cela fait tellement de bien après le visionnage de quelques nigauderies (hélas made in France, il faut bien le dire)
Une première chose, qu'aucun critique n'a remarqué (mais peut on vraiment se fier à des critiques qui prennent les soeurs Larrieu pour des génies du 7eme art? ah, au temps pour moi, on me dit qu'ils n'ont pas encore changé de genre, mais pour des personnes si esthétiquement correctes, cela ne saurait tarder): la boucle est bouclée. Le génial Ridley Scott vient de nous donner la copie grandiose de son modeste, intimiste premier film, pour moi peut être le plus beau: les Duellistes, filmé sur les bords de la Beune, sous le château de Commarques, un des plus grandioses sites de la Dordogne.
Mais si, souvenez nous: un petit officier bonapartiste teigneux -Harvey Keitel qui ne s'était pas encore fait connaitre comme un (very) Bad Lieutenant, poursuivait à travers l'Europe, de sa haine et de ses provocations un autre officier, l'élégant Keith Carradine.
Ici, Jean de Carrouges (Matt Damon) est le petit teigneux. De petite noblesse d'armes, illettré, mal dégrossi, brutal, il ne sait faire qu'une chose: la guerre. Jacques Le Gris (Adam Driver), autre vassal du comte d'Alençon, a été son ami, son frère d'armes. Mais alors que le grognon Jean ne sait que se plaindre, l'artificieux Jacques est devenu l'ami, le compagnon de débauche du suzerain, Pierre d'Alençon (Ben Affleck), qui n'hésite pas à priver Carrouges de biens revenant à sa mère ou à sa femme pour gâter son favori.
Car oui, dans son malheur, Jean a quand même récupéré une très jolie femme, dont le père a fait le mauvais choix, le camp des Anglais (cela se passe pendant la guerre de cent ans) et qui, ruiné, est bien obligé de brader sa fille... Marguerite (Jodie Comer) est douce, cultivée, dévouée, pieuse. Elle supporte tout en silence, les humeurs de se belle mère (Harriet Walter), les absences de son mari, et gère le domaine lorsqu'il est parti guerroyer. Jusqu'au jour où Le Gris profite de sa solitude pour pénétrer de force chez elle et la violer. Elle le raconte à Jean, qui décide alors de remonter jusqu'au roi de France pour obtenir justice en recourant au jugement de Dieu, un duel à mort où le Ciel donnera forcément la victoire au juste -Jacques reconnait l'acte, mais pas le viol. Ca a été, en 1386, la dernière ordalie enregistrée dans les archives.
Trois chapitres qui nous racontent les faits vus par les trois protagonistes. Parfois, une scène revient presque à l'identique, avec quelques différences de cadrage; parfois elle s'enrichit au fil des épisodes. Et, ce qui est fascinant, c'est que rien n'est expliqué. On comprend assez bien les motivations de Jean le jaloux; moins celles de Jacques: (un homme couvert de femmes n'aurait pas besoin de recourir au viol? il se sentirait humilié?) Mais pas du tout celles de la sage Marguerite, qui va subir l'humiliante enquête du tribunal (et si sa cause perd, elle sera mise à mort dans d'horribles conditions): jouit elle avec son mari? car c'est la condition sine qua non pour concevoir, et Marguerite ne parvient pas à être enceinte. A t-elle joui pendant le viol? Et nous, spectateur, nous nous posons la question: Marguerite n'a t-elle pas subi le charme de cet homme tellement plus séduisant que son rustre? Le viol physique ne s'est-il pas accompagné d'un non-viol moral, justifiant partiellement la défense de Jacques? Nous ne le saurons jamais.
Les images sont magnifiques. Les batailles admirablement éclairées où des flashs lumineux sur le métal des armures éclatent sur la tonalité gris générale. La reconstitution des décors -campagnes, bourgs, intérieurs- médiévaux est superbe. Quant au duel final, d'une sauvagerie extrême, où à partir d'un affrontement équestre à la lance on se finit au couteau dans la boue est juste le plus beau, le plus cruel jamais filmé.
Il faut y courir!