L’intérêt que présente The Last Duel, film mineur dans l’œuvre immense de Ridley Scott, réside dans cette focalisation en trompe-l’œil qui, en épousant successivement trois points de vue correspondant aux trois personnages en présence, met en place un héros populaire, sorte d’avatar de Robin des Bois en conflit avec le roi et sa cour, pour mieux le miner de l’intérieur et dévier peu à peu vers le héros véritable, héroïne en somme, qui ne trouve le bonheur que dans l’accomplissement d’une vie en retrait et sans hommes. Ce faisant, le cinéaste offre un pied-de-nez aux modèles viriles qu’il consacrait dans ses fictions historiques, de Gladiator (2000) à Robin Hood (2010) : le masculin se voit ici ensauvagé et bestialisé, ses appétits – carnassiers, sexuels, mobiliers, financiers – et sa soif de vengeance font de lui un être chétif et craintif qui divulgue sa nature mortelle en recourant à diverses activités belliqueuses, dont fait partie le viol.
« On pardonne à un enfant qui a peur du noir ; la vraie tragédie est l’homme qui a peur de la lumière », affirme Jacques le Gris dans une alcôve : cette citation latine résume à elle seule le long métrage, soit l’incapacité du masculin à quitter ses petits jeux de pouvoir pour transmettre la vie et toucher au sacré. C’est ainsi qu’il faut comprendre le féminisme de Scott dans The Last Duel : Marguerite ne tire aucune satisfaction dudit duel, elle paraît déboussolée et terrifiée quand, assise sur un cheval qui suit son époux, elle assiste aux éloges de ce dernier, à son adoubement par la foule qui suit directement son adoubement par le roi. Elle sait qu’avec cette victoire, Jean intègrera le microsome curial et ressemblera à ceux qu’il dénonçait non par certitude mais par jalousie ; l’épanouissement dernier résulte de son veuvage et de sa vie menée en marge de la cour.
La façon qu’a Scott de filmer le duel et d’en faire le cadre du film s’avère elle aussi double, duelle pourrions-nous dire : elle commence par l’épique, promesse d’une lutte entre deux hommes à la The Duellists (1977), et s’achève dans un bain de sang, expression de la cruauté et du plaisir sadique pris à tuer pour réparer son honneur et son nom. L’obsession de la réputation prend le pas sur le reste, et la femme devient – ou reste – un objet de transaction et l’incarnation d’un droit légitime à la propriété dans une société patriarcale au sein de laquelle convergent les intérêts du roi, ceux de son entourage et ceux de l’Église. Voilà pourquoi le point de vue de Marguerite est qualifié de « vérité vraie » : son combat, un combat feutré, d’intérieur, moral, un combat qui ne laisse pas de traces, qui ne marque par les chansons de geste, la fait accéder à une réalité supérieure et spirituelle et la change en icone applaudie par ses consœurs. La seule liberté gagnée par la femme réside dans son statut d’outlaw défini par la loi des hommes – on met sa parole en doute, on la juge au tribunal, on la menace de répudiation et de disgrâce – jusqu’à ce final bucolique qui laisse triompher la vie et contraste la grisaille environnante par les couleurs d’une reverdie. La femme, elle, n’a pas peur de la lumière.
Nous regretterons alors la longueur inutile d’une œuvre charcutée par son montage et ses sauts de puce incessants entre des lieux et des temporalités différents, ce qui brise l’immersion du spectateur et nuit au rythme d’ensemble.