A l'exception notable de 1492, il faut reconnaître à Ridley Scott un talent réel pour conter les épopées historiques (Gladiator, Kingdom of heaven, Robin des bois, Exodus : Gods and Kings) malgré certaines libertés prises avec la vérité historique ou la légende, ce qu'on lui pardonne devant la beauté du spectacle et l'intelligence du propos.
Cette fois, je l'avoue, j'ai failli abandonner après 20 minutes tant la première partie est lente, vide, sombre, plate... et puis il y eut la seconde qui vient justifier ce début poussif. Là, en effet, tout s'éclaire. Les deux protagonistes de cette histoire sont aussi opposés que peut l'être cette fin XIVème, entre un vieux moyen-âge finissant et une renaissance commençante. Le gris d'un côté, les couleurs de l'autre, le sens du devoir et celui de la fête, la gloire au combat et l'efficience financière, les batailles et les danses, des dialogues presque monosyllabiques et de longues tirades enjouées, deux façons de servir son seigneur et d'envisager le rapport aux dames. C'est aussi l'opposition entre la chanson de geste et les romans courtois qui a parcouru l'imaginaire médiéval.
Le fait de nous livrer deux films en un seul est un tour de force assez admirable. Mais trois ?
La troisième partie est en effet la plus éclairante sur les deux amis/ennemis de cette histoire : ce sont juste deux gros bourrins toxiques, chacun à sa façon, produits de leur époque, un temps qui réduisait les femmes à des victimes coupables de leur sort. Heureusement que notre société a bien changé. Mode ironie off : ce film est aussi un pamphlet accusateur sur la foi qu'on accorde à la parole de femmes. Durant le procès, bien des questions posées à l'héroïne le sont encore aujourd'hui et c'est bien sa parole qui est jugée, non l'acte criminel en lui-même. Jodie Comer transcende alors l'écran jusqu'au final.
La dernière partie, le duel proprement dit, nous laisse un goût amer : les deux gros bourrins se retrouvent et, si on souhaite évidemment la victoire du mari, on ne peut s'empêcher de penser que ce combat à mort résume l'ensemble de l'oeuvre : au centre de la lice, l'épouse violée est ignorée, son sort ne lui appartient pas, pas plus qu'il ne lui a jamais appartenu.
Saluons enfin la triple interprétation de grande qualité, chaque personnage ayant dû être joué de trois façons différentes, à laquelle s'ajoute celle d'un surprenant Ben Affleck.
Un Ridley Scott grand cru. Un très grand film, beau, propre et intelligent.