Cette histoire, qui peut paraitre édifiante au premier abord, est une histoire vraie qui s’est déroulée entre 1983 et 1985 en Argentine, et qui, de plus (c’est clairement sous-entendue par le scénario), n’est pas du tout un cas isolé, juste peut-être le cas le plus aboutit en la matière. Le film de Pablo Trapero a beaucoup de qualités et en premier lieu, il est réalisé avec un talent et une application qui saute aux yeux mais aussi aux oreilles. Les scènes de kidnapping sont filmées caméra à l’épaule, l’image est soignée. Le montage fait appel à deux ou trois reprises à l’astuce maintenant bien maîtrisée du flash forward, ce qui désamorce d’entrée un éventuel suspens malvenu : on sait dés la première scène comment cela va finir, cela met les choses au clair d’entrée et c’est plutôt bien vu. L’intérêt de « El clan » ne réside pas dans un faux suspens de « Vont-ils se faire chopper ou pas ? », l’intérêt du scénario est ailleurs. Cerise sur la gâteau, et c’est une belle cerise, la musique est omniprésente dans le film, elle colle à l’époque du film, elle fait appel souvent à des morceaux anglo-saxons très connus, y compris dans les moments de tension. La musique est sautillante à l’oreille alors que des évènements lourds se déroule à l’écran, cela donne une impression ambivalente un peu désarmante au début, mais finalement très originale et qui fonctionne. De plus, que ce soientt les chansons ou que ce soit la musique originale du film, elle est très bien utilisée, forte quand elle doit l’être, s’arrêtant pile poil quand elle doit s’arrêter, de ce point de vue c’est du très beau travail. Le casting de « El Clan » est dominé par deux acteurs très investis : Peter Lanzani en fils sous influence, complice odieux vaguement titillé par le remord mais surtout Guillermo Francela. Cet acteur, que j’avais déjà trouvé formidable dans « Dans ses yeux », trouve ici un rôle d’une force impressionnante. Cet ancien homme de main de la Dictature, habitué naguère à l’autorité et à l’impunité, exerce sur son épouse, ses trois fils et ses deux filles, une autorité naturelle en apparence très bienveillante mais qui ne tolère rien d’autre qu’une obéissance totale. On sent le tortionnaire qui sommeille dans chacun de ses actes, au travers de son regard bleu et glacial. C’est une vraie performance que réalise Guillermo Francela, qui incarne un personnage multifacette en apparence, mais uniquement en apparence. Il ne donnera à aucun moment au spectateur de « El Clan » d’autre choix que de le mépriser, une sorte de parfait salaud en somme. Quant au scénario, il jette un éclairage intelligent et cru sur la fin de la dictature argentine et les premières années balbutiantes de la démocratie. On ne le comprend pas d’emblée, mais Puccio à toutes les raisons de se sentir intouchable. Il enlève en plein jour, parfois masqué mais parfois non, il appelle les familles à partir de cabines téléphonique situées dans des lieux publics, sans prendre jamais la peine de travestir sa voix, ne se préoccupe quasiment pas de laisser des empreintes : aux premier abord c’est déroutant. Et puis finalement, on comprend et on comprend même très bien : les hauts fonctionnaires en place sont les mêmes que sous Videla, et Puccio n’est pas le seul à s’être recyclé de cette façon. Tout cela est plus suggéré que clairement montré par le scénario, ce qui est un peu dommage, comme si il y avait encore une certaine timidité à évoquer cette époque si malsaine mais pas si éloignée. En fait, le contexte historique de « El Clan » est le même que dans « La Isla Minima », le film espagnol qui m’avait emballé l’année dernière : officiellement la dictature est morte, en réalité, elle est partout encore dans les esprits, dans les réflexes conditionnés, et même parfois encore sur les murs ! Autre chose que le scénario montre avec une certaine finesse, c’est le cheminement psychologique d’Alejandro : au début complice zélé de son père (il va quand même aider à faire enlever un joueur de sa propre équipe, un pote à lui !), mais de plus en plus distant avec des pratiques dont il profite grassement mais qui le répugnent de plus en plus. Ce cheminement, jusqu’à la terrible scène de fin, est assez subtil mais quand on y réfléchit un peu, elle n’est pas si étrangère que cela à la faillite de cette petite « entreprise familiale ». La toute fin de « El Clan » ne peut pas laisser indifférente car elle est gorgée de cynisme mais elle met un point final à un film passionnant de bout en bout, qui ne faiblit jamais et qui confirme la bonne santé du cinéma hispanophone de ces dernières années.