Une scène de théâtre ou un huis-clos, où des personnages d'horizons différents sont contraints de survivre ensemble et d'arrêter de s'appeler par leurs noms et de commencer à utiliser les prénoms. C'est le pitch de Lifeboat, qui, rapidement, ne se sert que de prétexte à cette embarcation de survie pour livrer son véritable sujet : les hommes entre eux, face à la mort. Si nous avons bien entendu toutes les étapes presque codifiées de cette lutte pour la survie (problème médical, tempête etc.) cela n'est qu'une toile de fond, la vraie forme du film résidant dans les relations entre ces hommes et ces femmes. Par ailleurs, le véritable ennemi du film est finalement un nazi qui supplante la nature dans le rôle d'antagoniste immoral.
Comme souvent dans le cinéma du début des années 40, la seconde guerre mondiale est dans toutes les têtes, et surtout dans celles des scénaristes. La problématique étant presque une blague de mauvais goût : Six américains et un allemand sont sur un bateau de survie, que se passe-t-il ?
En réalité il faut reprendre les choses du début, si bateau de survie il y a c'est parce qu'un sous-marin allemand a coulé un navire rempli de civils américains. Et parmi la poignée de rescapés nous avons donc un des membres de l'équipage du sous-marin (ayant lui aussi sombré). Tout le propos du film réside donc dans une histoire de lutte morale, de bonne conscience, d'actes et de conséquences, où l'allemand devient l'objet de toutes les attentions : certains veulent le couler une bonne fois pour toute, d'autres lui tendre la main, et ses aptitudes de marin aguerri n'arrange rien aux débats, puisque d'une manière où d'une autre : le tuer revient à se condamner soi-même.
C'est donc une petite société qui se forme sous nos yeux, chacun a son rôle prédéfini, chaque couche sociale étant représentée : on se contredit, on se crie dessus, on se courtise, on se murmure, on s'embrasse, on chante, on joue, on se ment, on se tue... Bref, toutes les facettes de la société sont disséminées à chaque coin du bateau. Les personnages sont, dans l'ensemble, de braves types qui essaient de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour retrouver le chemin de la terre ferme. Des fantômes du passé planent sur toutes les têtes, comme une étape de transition à franchir pour chacun d'entre eux pour devenir quelqu'un d'autre. Et à mesure que le temps passe et que le désespoir s'immisce dans les esprits de nos protagonistes leurs âmes se dévoilent. Les visages qui sont au début des façades, de simples noms, se découvrent au fur et à mesure, rythmés par les pertes matérielles épisodiques. Les personnages se mettent finalement à nu, vidés de tout secret, et c'est alors que le message du film devient plus clair, plus contestable aussi : les allemands ne sont pas des hommes, mais le fruit d'une nature imparfaite. Difficile d'adhérer à une telle radicalité, mais compte tenu de l'époque il est difficile d'être trop sévère (même si j'avoue qu'un des derniers discours fait froid dans le dos).
Hormis ce bémol idéologique, cette traversée de l'océan est très plaisante à suivre, nous avons un peu de tout : de la romance, de l'humour, de la manipulation... et on ne s'ennuie une seconde devant ce film « catastrophe » qui ravira sans aucun doute tous ceux que les films de survie font kiffer (moi le premier). En plus de ça, malgré le cadre limité au bateau, à la mer et au ciel, nous avons une multitudes de très beaux plans, souvent métaphoriques, qui nous représente bien l'immensité de l'océan : noir et tumultueux ; symbole de la société humaine. Lifeboat n'est certes pas un film indispensable mais c'est une œuvre assez originale dans la filmographie d'Hitchcock pour mériter le détour.