Que dire d’autre si ce n’est que je ne m’attendais pas à ça ? Qui peut dire (à condition de ne pas avoir lu le synopsis ni vu la bande-annonce) qu’il s’attendait à la direction prise par le film alors que le spectateur est plongé sans détour dans une des nombreuses batailles de la Guerre de Sécession qui fait rage, provoquant son lot d’hémoglobine, de mutilations et de râles ? L’immersion dans le conflit est tout de suite efficace, et rapidement le focus se fait sur Newton Knight, infirmier en charge de ramener les blessés, y compris sous le feu ennemi. Le spectateur comprend illico que le récit va se pencher sur son cas, mais qui peut prédire ce que lui réserve le destin ? "Free State of Jones" a beau s’inspirer de faits réels (encore que leur teneur réelle et leur portée font l’objet de débats entre historiens), je fiche mon billet que tout comme moi vous n’aviez jamais entendu parler de Newt Knight. Et pour cause ! Cet homme était tant en avance sur son temps dans les mentalités que son histoire à cette époque faisait tâche, et tomba dans l’oubli quasiment le plus complet. Mais aujourd’hui : quelle belle et grande histoire ! Et quel grand bonhomme ! Le fait est que le récit est suffisamment immersif pour qu’on nous détourne gentiment de la Guerre de la Sécession sans qu’on ne s’en aperçoive vraiment. Malgré tout, elle ne reste jamais loin. Elle est même très proche, puisqu’elle s’immisce jusque dans la tranquillité de l’arrière-pays pour venir lui aspirer tout souffle de vie, des victuailles aux personnes susceptibles d’alimenter les rangs des combattants. Le combat entre deux visions de nation se déporte donc vers un autre combat, celui qui voit autrement la nation à venir. Sur des images dures et à la fois sages, Matthew McConaughey porte le film sur les épaules. Certes le spectateur prend fait et cause pour lui très rapidement, tout est fait pour ça d’ailleurs. Mais en plus, le charisme de l’acteur et la force qui en découle suffisent à compléter la précision de l’écriture entièrement acquise à sa cause. Comme si Gary Ross (à la fois scénariste et réalisateur) voulait rendre à César ce qui appartenait à César et ainsi redorer ses lettres de noblesse. En y regardant de plus loin, "Free State of Jones" ressemble à un discours politique. Les mots se font persuasifs, et on accapare l’attention du spectateur sur Newton Kinght et son action. Tout comme son entourage, le spectateur boit ses paroles, s’en nourrit, persuadé de sa bonne cause née DU fait qui n’est rien d’autre que LE point de départ de cette remarquable destinée. Les points de vue adverses ne sont pas pour autant oubliés. Mais de l’autre côté de la barrière, tout est diabolisé, tout est intolérance, tout est antipathie, tout est vengeance. Bref tout est violence, et tout est fait pour faire adhérer le spectateur à la cause de cet homme instigateur (malgré lui) de la rébellion contre les confédérés, en se battant contre l’exploitation de l’homme et de ses ressources par l’homme. Dit comme ça, on pourrait croire qu’il est seul face à tout un système. De façon schématique, c’est un peu ça. Disons plutôt que c'est le clan des opprimés contre le clan de ceux qui ont tous les droits. Car rien n’aurait été possible sans cette foule d’anonymes qui a pourtant lourdement pesé dans la balance. Sans ces hommes et femmes, tous bafoués et humiliés, quelles que soient leurs origines, leurs conditions et leur race, cette histoire n’aurait peut-être jamais eu lieu. Et les différents interprètes ont très bien fait leur boulot, à commencer par Mahershala Ali dans la peau de Moïse, de Gugu Mbatha-Raw dans les traits de Rachel et de bien d’autres, tous à l’unisson autour d’un combat né d’une façon on ne peut plus personnelle. A voir "Free State of Jones", le spectateur se demandera comment et pourquoi la prise de conscience a été si longue, et cela même s’il manque ce petit quelque chose d’indéfinissable supplémentaire pour faire de ce film une œuvre absolument incontournable. Vous savez, ce petit truc qui nous porte aux firmaments de l’admiration tel que nous avons pu l’observer dans des chefs-d’œuvre tels que "Le majordome", "12 years a slave" ou encore "Le discours d’un roi". La réalisation est pourtant propre, quelque peu académique, ce qui n’est pas ici un défaut puisque cela permet de rendre le récit authentique. Et puis le montage est très réussi et donne beaucoup de fluidité à cette histoire qui se déroule sur plusieurs années. En ce qui me concerne, ce sont les allées et venues faites en le temps présent du récit et les quelques 85 ans plus tard qui m’ont dérangé. Je les ai même trouvées limite déstabilisantes, car on ne voit pas bien au départ le lien que ça peut avoir avec ce qui nous est exposé. Patience ! Vous comprendrez alors qu’il n’est que la représentation de (trop) longues années d’immobilisme quant à la mentalité.