La vie est naine...
Il y a toujours eu dans le cinéma d’Alexander Payne cet humanisme de l’instant. Des fragments d’absolu baignant dans un ensemble d’inconnu, d’irrésolu. Car de la frustration émergeait souvent une douce mélancolie, où les minimes fulgurances emplissaient nos cœurs de partage et d’amour. Une émotion qui souvent dépassait son propre cadre, pour nous inviter à la chercher, la trouver ou s’ennuyer. Tout n’étant au final qu’une question de réceptivité et d’observation : savoir apprécier un moment, une émotion, une vérité cachée sous l’artificialité de son histoire. Mais le Cinéma de Payne peut avant tout se voir comme une illusoire « dérive des continents ». Des films sur les cassures, les ruptures, les fissures, qui répondent tous à un besoin de retrouver cet équilibre. Des films qui, sous l’ironie et le décalage, ne sont que des invitations à la reconstruction. Des œuvres optimistes en somme. Et Downsizing se voudrait incarner pleinement la démarche fabuliste de son auteur mais s’enlise dans l’inabouti et le changement de direction soudain de son concept.
The Descendants souffrait parfois de sa parole, de son intimité, de son impuissance à élever la comédie humaine hors de son archipel de maladresses. Des lourdeurs qui au fond n’étaient là que pour renforcer cette distance, ce décalage, ce flottement habitant ce père de famille, perdu entre les choses brutes de la vie et le dépaysement apparent de la sienne. Car Payne a un certain don pour composer des portraits d’hommes brisés. George Clonney et Jack Nicholson y ont construit des rôles où l’émotion ne versait jamais dans l’excès, avec assez de justesse pour insuffler à leurs errements un souffle de renouveau. Des personnages qui se cherchent et se réparent. Toutes ces épreuves pour aboutir à une forme de réunion, qu’elle soit autour d’un verre, autour d’un père, autour d’une glace, dans un canapé ou sous une couverture.
Downsizing ne déroge pas à ce caractère : le personnage de Paul Safranek est d’une parfaite cohérence dans la filmographie de Payne. Un de ces pommés magnifiques qui, sous l’artifice du rétrécissement, apprendra à devenir Grand. Une quête intérieure matérialisée par la mécanique du voyage. The Descendants faisait de son exotisme un lieu de perdition où le voyage ne serait que mental, comme des îles qui s’éloignent dans une larme d’agitation et de liaison : s’en dégageait alors une véritable chaleur, comme une Taverne de l’Irlandais où le désordre ne serait qu’intérieur et insaisissable. Dans Downsizing, le voyage est d’échelle : briser l’image idéalisée de la miniature par la trahison et l’abandon pour chercher dans sa nouvelle vie un idéalisme naissant. Comme une sorte de déclic provoqué par son voisin Dusan (un fantastique Christopher Waltz) qui lui confie voir de la tristesse sous son apparente bienveillance ; une confession renvoyant directement à celle de Monsieur Schmidt. Tout cela pour jouir de la vie et faire que celle-ci ait un sens.
Le cinéma de Payne est au fond intensément de science-fiction : comprendre le réel en le confrontant à son contraire. Et en cela, Downsizing ne pouvait être totalement axé sur son concept (tout du moins du point de vue de Payne), n’étant qu’un prétexte pour parler l’Homme, ou plutôt de l’humain. Comme pour faire du paradis ou de l’utopie/ dystopie une façade pour révéler les fissures de l’être : miniaturiser la société pour montrer la reproduction des divisions humaines, de l’égoïsme à l’individualisme, de l’inégalité aux schémas de classe… Une société brisée. Mais au bout, l’amour, l’amitié, le bonheur. Une sorte de réflexion sur la place de l’Homme dans un monde qui meurt, aussi bien sur un plan écologique qu’humain. Un subterfuge permettant à Payne d’aborder la société contemporaine, des nouveaux modes de vie à la destruction environnementale, de l’Amérique consumériste (la façon de vendre la « miniaturisation » comme une publicité ou un talk-show en est assez représentative) à la Norvège consciente des enjeux, tout en portant un regard caustique sur la multitude de sujets explorés. Une abondance qui fait de Downsizing une œuvre généreuse, mais s’embourbant dans les pistes inexplorées, les promesses non tenues et l’émerveillement à perte.
Puisque de cette envie de construire plein de choses en une seule œuvre, ne restent que des idées mises de côté. Là où le magistral L’homme qui rétrécit de Jack Arnold abordait de manière totale son sujet et son interaction vis-à-vis de son environnement, Downsizing concentre sa ligne directrice sur l’interaction humaine avec autrui, limitant son large univers à une insuffisante parcelle de préoccupations sociales et humanitaires. Une sorte de Ken Loach à la sauce Capra, sans la virtuosité des deux dans leur domaine. Et l’enchantement ne dure qu’un instant, dans une première partie drôle, décalée et surprenante, avant que n’apparaissent les longueurs, la confusion et l’inexploité.
Qu’en est-il de ces brillants acteurs n’apparaissant que l’espace d’une seconde ? Qu’en est-il de ce monde miniature, de ses agrandissements, de ses plurielles conséquences sur l’Homme ? Car Payne fait rapidement de l’extraordinaire un concept où les habitudes deviennent tout aussi rapidement ordinaires. Un désintérêt car pour lui, l’essentiel n’est pas là. Car le paradis n’est pas dans l’excès, le grandiose ou le démesuré mais dans ces choses simples, ces moments de réunion, ces instants de partage où les cris et les pleurs intérieurs se muent en une gaieté et simplicité somme toute « humaine ».
Comme en passant du microcosme familial au macrocosme de la Vie, Payne voit les choses en Grand sans changer la focale, faisant de ses belles et humanistes promesses un flou sentimentaliste sans grande cohésion ni admiration. Le reproche en définitive de nous avoir vendu un monumental concept pour se retrouver avec une œuvre, sympathique certes, mais différant de son postulat initial, plus concentré sur l’humain que sur le groupe. Et de ce film à faux-concept, rien ne pourra vous sauver de la frustration/ déception, pas même la dérision, pas même la sincérité de ses émotions, pas même le charme de ses acteurs. Sous son maladroit mélange des genres, Downsizing n’en demeure pas moins un film thématiquement cohérent dans la filmographie de Payne, cherchant dans la crise masculine les failles de chacun pour les transformer progressivement en des morceaux humanistes. Des Hommes craignant que le monde ne les voie qu’à travers leur « petitesse », pour au final s’accepter en tant que tel, dans la simplicité, le sourire et l’affection. Ce que Nebraska parvenait à évoquer avec sobriété, sagesse et émotion. Avec Downsizing, Payne élargit ses horizons mais n’en réduit que plus sa bienveillante déclaration.
Same As It Ever Was…