Timur Bekmambetov ("Wanted", "Abraham Lincoln, Chasseur de Vampires", "Ben Hur"), le russe le plus connu d’Hollywood, endosse parfois la casquette de producteur, notamment pour aider certains de ses compatriotes à intégrer l’Eldorado américain du cinéma. C’est ainsi qu’il s’intéressa à Ilya Naishuller et à son projet déjanté "Hardcore Henry" : ce que propose le film au spectateur, c’est l’expérience immersive et jouissive d’un jeu vidéo FPS (First Person Shooter) sans aucune interactivité, en mode purement passif. Un peu comme l’avait fait auparavant Edgar Wright avec son "Scott Pilgrim" (utiliser les codes visuels du beat’em-all pour illustrer sa romance), Naishuller va s’approprier les codes du « Doom-like » pour mettre en image son film d’action. On se retrouve donc devant un film entièrement tourné en vue subjective, qui utilise un pitch très simpliste (un homme amnésique qui a été transformé en machine à tuer cybernétique doit sauver sa femme des vilaines griffes du gros big boss) pour nous en mettre plein la vue. Et il faut avouer que de ce côté-là on n’est pas volé : le film enchaîne des séquences de pure folie avec des gunfights explosifs, des acrobaties qui défient les lois de la physique, des cascades aériennes totalement improbables, des bastons face à des hordes d’ennemis qui n’en finissent plus…un spectacle dantesque et hyper violent (sans pour autant en faire l’apologie gratuite : le film se contente tout simplement de reprendre le schéma du FPS moderne où on progresse en dégommant par centaines des ennemis anonymes) qui, paradoxalement, semble réaliste. On retrouve bien les codes du média vidéoludique et durant tout le visionnage, on ne peut s’empêcher d’avoir plein de référence en tête (Call of Duty, Deus Ex, Mirror’s Edge, F.E.A.R., Uncharted, Assassin’s Creed, Bioshock, Rage, Soldier of Fortune…) En outre, le fait que tout le film soit en vue subjective pouvait faire très peur ; mais heureusement pour nous, le système utilisé pour filmer l’action (Naishuller a décrit dans une interview que des caméras Go Pro étaient fixées sur un harnais que portait l’acteur) nous évite mal de crâne et vomissement : sans atteindre la fluidité d’action d’un métrage de John Woo, le film reste très lisible et nous évite de nous imposer une shaky-cam parkinsonienne à la Jason Bourne. Heureusement, pour nous remettre de nos émotions, les moments forts sont ponctués de passage où le héros se voit aidés par un certain Jimmy comme le fait le « guidage virtuel » dans un jeu vidéo : il intervient donc régulièrement pour aider Henry, lui confier des missions à accomplir, des directions à suivre, lui fournir des armes. Ces moments font même office de running gag puisque Sharlto Copley (le héros de "District 9" et le méchant de "Elysium") s’éclate comme un petit fou pour interpréter ce perso totalement schyzo mais au potentiel sympathie énorme ! Avec "Hardcore Henry", Ilya Naishuller propose un concept assez ambitieux mais qui au final réussit son pari : un scénario simple, un rythme très soutenu, une structure et un visuel vidéoludiques pour une immersion la plus totale (le spectateur ne se contente pas de suivre les péripéties d’Henry, il EST Henry !!), le tout consolidé par une mise en scène viscérale : la performance est totale, comme si Tarantino avait réalisé un plan-séquence de 1h40 sous acide en utilisant la direction artistique de Nicolas Widing Refn !! (Une boucle est donc bouclée : le cinéma a souvent inspiré le jeu vidéo, aujourd’hui c’est ce denier qui inspire le cinéma). Certes, nous sommes loin d’être devant un chef d’œuvre, je dirais même au contraire que c’est très con…con mais jouissif (un peu comme "Hyper Tentsion") car oui, le film est constamment drôle par l’absurde et il serait vraiment dommage de passer à côté d’une telle petite bobine survoltée qui nous fait de l’œil en nous disant : « Viens mon ami…viens et prends ton pied ! »