The Neon Demon, entre ange et démon(s
Souvent dérangeant, parfois même incompréhensible, le cinéma de Nicolas Winding Refn ne laisse personne indifférent. Mais une chose est sûre, le réalisateur danois est un militant du 7ème art, en cela qu’il combat l’idée d’un cinéma qui aurait parfois tendance à s’aseptiser, se formater et se standardiser sous les directives abusives des géants de la production hollywoodienne. Car oui, le cinéma de NWR nage à contre-courant : il clame son amour pour l’expérience. Sous des airs prétentieux en surface, il est d’une radicalité esthétique qui peut déranger les plus traditionalistes (véritables figures d’un immobilisme ambiant qui cherche à contaminer la création artistique), mais qui peut aussi émerveiller les partisans d’un cinema audacieux, initiateur… Les critiques sont parfois compréhensibles : refuser la demi-mesure est respectable et honorable, la bannir radicalement au risque de s’enfermer dans une caricature stylistique (comme NWR a parfois tendance à le faire) est à juste titre critiquable. En résumé, qu’on l’aime ou qu’on le rejette, qu’on se sente en symbiose avec sa vision avant-gardiste ou qu’on la maudisse, on peut au moins reconnaitre à NWR qu’il a le don de diviser; et dans le monde du cinéma c’est plutôt bon signe habituellement (Pasolini, Argento, Lars Von Trier… CQFD). Et puis bon, affoler les réac, quoi de mieux?
C’est exactement dans cette optique qu’a été reçu à Cannes son dernier long-métrage, fresque millimétrée sur le monde du mannequinat destructeur de Los Angeles dans lequel s’engage une (trop) jeune sublime fille, petit poisson dans un océan de requins, « diamant dans un océan de verre »… À Cannes, le mélange des styles du film divise (NWR entremêle les codes du film d’horreur et de genre) et crée la controverse. Autant sifflé qu’acclamé, The Neon Demon est accusé d’être contemplatif, symbolique, coquille vide de sens… Les critiques se déchirent : quand certains crient au génie, d’autres évoquent une bouillie cinématographique. Une dualité bien retranscrite par Jessica Kiang pour The Playlist : « Spectaculaire, répugnant et délicieux (The Neon Demon est tellement dégoûtant qu’il en devient presque agréable). » De quoi éveiller la curiosité des plus désintéressés.
Et, en effet, The Neon Demon tient absolument toutes ses promesses. La caméra appliquée balaye le superficiel du cadre, chaque teinte de lumière reflète une ambiance, une atmosphère… La mise en scène perfectionniste vient embrasser toute la minutie d’un réalisateur qui vient ériger son long-métrage en véritable Œuvre d’Art symbolique. Le cinéma de NWR est jouissif, il vient détruire à coup de marteaux toutes les barrières à la création, il est menaçant, épuré, viscéral, notoirement anxiogène. Le film traite la pureté comme un joyau, à polir, à entretenir, à parfaire… mais un joyau qui est déchiré et âprement convoité par des forces cannibales qui cherchent à s’en emparer. Elle Fanning est la figure de proue de cette pureté divinisée : véritable Vierge symbolique, elle est l’incarnation de l’innocence quand le milieu impitoyable de la mode apparait come une allégorie de la perversion. NWR nous offre une merveille visuelle certes, mais aussi sonore : Cliff Martinez, dont les superbes compositions pour Drive résonnent encore inlassablement, livre une performance captivante, maniant d’hypnotisants synthétiseurs dans un projet ouvertement électro, si maitrisé que l’image parait quasi indissociable du son.
The Neon Demon fait l’éloge d’un cinéma expérimental minimaliste où chaque scène a une résonance particulière. Paradoxalement, le film suit un tempo enlisé mais reste porté par une dynamique évidente, par un entrain certain, par une sorte de poussière volatile qui captive, qui flotte parmi les scènes et se diffuse chez un spectateur hypnotisé. Certaines scènes renferment l’essence d’un cinéma qu’on ne saurait soumettre, véritables états de transe, apologies d’un style poussé à l’extrême. Le cinema de NWR n’est pas dans la demi-mesure, mais c’est justement sa radicalité qui fait son importance. Il ne se cache pas derrière de faux-semblants : l’entreprise est admirable. Alors, avant de lapider en place publique à coups de violentes critiques accusatrices un homme qui a le courage d’oser, prenons déjà le temps d’interroger, d’examiner, d’explorer… Bref, de faire preuve d’honnêteté intellectuelle. Non ?