ATTENTION, cette critique comporte énormément de spoilers !!!
Nicolas Winding Refn, s'est depuis longtemps imposé comme un esthète de génie. Ayant une approche très clipesque de ses œuvres, ce qui lui est reproché par ses détracteurs qui trouve que ses films privilégies la forme au fond, il s'intéresse au prisme de la beauté pour retranscrire l'horreur et le malsain. La violence et la nature bestial de l'homme devenant un ballet magnifique aussi tragique que beau et fascinant. On ne peut pas dire que ses films sont vides car il pense sa mise en scène comme une véritable mécanique de scénario, qui alimente le récit et le transcende. Tout a un sens et une fonction, ce qui parfois met en évidence sont vrai défaut, l'abus de symbolique. Chose qui avait commencé à apparaître dans son Valhalla Rising et qui avait éclaté dans Only God Forgives. Des films, où il s'intéressait plus que jamais au conte, parlant de la brutalité humaine et de l'impuissance des divinités que l'on s'est créés, Dieu devant un homme dont on a érigé la légende mais qui n'en est pas à la hauteur, n'étant qu'une âme en peine, cherchant la rédemption et devenant un être sacrificiel. Symbolisant la vacuité d'un monde en perdition et nous montrant de manière brutale, le vide de nos propres existences. Avec son dernier film, il vient terminer cette trilogie, où cette fois-ci il délaisse la divinité masculine au profit de celle féminine pour nous plonger dans un univers d'apparence plus complexe, pernicieux mais tout aussi factice et illusoire.
Ici, on suivra le parcours de Jesse, jeune adolescente en quête de repère qui estime que son seul atout est sa beauté et qu'elle décide d'en tirer profit, se lançant dans le mannequinat. Refn ne tombe pas dans la facilité de ne faire qu'une critique du monde de la mode, faisant ce que beaucoup ont pu faire avant lui. Il va se servir de cet univers pour toucher à quelque chose de plus universel, les apparences et nos propres rapports face à elle. Tirant le tout pour basculer dans le conte horrifique, réinventant le film de possession et offrant une variation du mythe du vampire diablement intéressante. Ici les personnages seront soit obsédés par la beauté, devant des caricatures assez vides au dialogues superficiels, chose voulu pas le récit donc pas dérangeantes,soit des êtres naïfs qui se bercent dans leurs illusions avant de se prendre la cruauté du monde en pleine face, où encore ils seront dans un entre-deux, apportant une ironie cinglante sur les dérives du monde. Dans cette optique, c'est le personnage du gérant de l'hôtel qui s'impose le plus. Pouvant être un des personnages les plus obscures et "insaisissable" du film, car on ne sait pas forcément où le réalisateur compte aller avec lui alors qu'il symbolise le plus les intentions de l'oeuvre. Immoral, obsédé par son profit personnelle et agressif, il est aussi celui qui apporte une certaine forme de vérité dans sa brutalité, celui qui souligne la farce que représente cette histoire car probablement le seul qui ne se voile pas d'hypocrisie. Le personnage sera géré selon la vision du spectateur, où il apparaît comme un râleur et un sale type mais aussi comme quelqu'un de désintéressé par Jesse et ce qu'elle représente. Souligné par son dialogue avec Karl, l'amoureux transi, où il se moque de lui, lui renvoyant en pleine face ses penchants, sa naïveté et en montrant qu'il a bien trop vu cette histoire encore et encore, préférant désormais de se mêler de ses affaires et vivre en reclus. Tout cela est géré par un dialogue assez savoureux de double sens et bien moins frontale qu'il n'y paraît. Pourtant, du point de vue de Jesse, le personnage est perçu comme un prédateur, troublant la perception que l'on peut avoir de lui au sein des cauchemars et des craintes de Jesse, offrant une scène d'agression trouble qui nous fait perdre nos repères. Ici, le mal est partout, mais n'est jamais identifiable, le prédateur n'étant jamais là où on l'attend et Refn à la bonne idée de souvent le laisser en hors champ jusqu'à la révélation finale. Au final, le gérant est le prédateur de Jesse car il est tout ce qu'elle ne représente pas. Il est vieux, probablement le personnage le plus vieux du film d'ailleurs, lucide et on peut le considéré comme laid par son apparence négligé et son caractère exécrable. Il apparaît donc comme l'ennemi mais l'ennemi est souvent la beauté elle-même.
Dès le début, Refn impose les femmes que croisera Jesse comme des menaces, notamment à travers une scène en night club assez dingue qui après une scène de dialogue dans des toilettes, instaurant tous les enjeux du film passe par une scène d'initiation qui fait virer le tout dans l'horrifique. "Est-tu sexe, ou est-tu nourriture ?" demandera Ruby, guide et "amie" de Jesse, phrase pleine de double sens qui parait anodine autour des préférences de nom de rouge à lèvres mais qui régira le récit et son déroulé. Jesse se laissera donc happé par cet univers où elle prospère, attisant la jalousie et la convoitise, possédant une "chose" dont personne n'arrivera à mettre le doigt dessus. C'est alors que fera l'apparition du "Neon Demon", une forme triangulaire rempli de symboliques et qui attise tant de questions. En terme de forme, le triangle inversé et les losanges prédominent, rappelant la morphologie du sexe féminin qui est ici glorifier à l'extrême par une industrie qui l'élève au rang de divinité. Le Neon Demon symbolise donc la virginité et l'innocence du personnage mais aussi son rapport à elle-même. Au sein d'une scène grandiose de défilé, elle prend conscience de son innocence et de se qui attire les gens chez elle, sa candeur. Elle se retrouve face à sa propre image et décide de la pervertir, d'en jouer et d'en tomber amoureuse. Symbolisé par le changement de couleurs, le bleu devient rouge, et le changement vestimentaire, Jesse se sexualisant intentionnellement, chose qu'elle ne faisait pas au début; le personnage connait une évolution drastique assumant son côté "divin" et décidant de prendre sa place au dessus des autres. Allant jusqu'à défendre son innocence face aux avances de Ruby.
Jesse est donc une icône, à l'image d'une déesse, elle est soumise au regard des autres plus qu'à son propre destin. Elle est modelée, crée par les autres qui l'érige en beauté absolu. Refn étant tout aussi fasciné par cette beauté que critique envers elle, la présentant comme une chose unique et factice. A travers le parallèle entre Gigi - une mannequin adepte de la chirurgie esthétique - et Jesse, il pousse avec satire la comparaison de la beauté modelée par un chirurgien et celle qui est jugée naturelle. Alors qu'au final, toute deux sont modelées par le regard des autres et qu'elles sont toutes deux aussi intangibles et illusoires car au final subjective. C'est un peu ce que symbolisera le fin pour le personnage de Sarah, une mannequin que personne ne remarquais mais qui tombera sur quelqu'un qui lui trouvera un potentiel. La scène arrive après que Ruby, Gigi et Sarah ont décidé de se débarrasser de Jesse et de la manger pour absorber sa beauté et son aura, laissant le doute sur l'aspect fantastique du film. Sarah se fait-elle repérer car elle a mangée Jesse, ou ce serait-elle fait repérer sans cela ? Refn flirte avec l'absurde au sein d'une conclusion dantesque et pleines de sens qui souligne la froideur et l'horreur humaine qui est puisée dans la complaisance. Gigi ne supportant plus son crime lorsqu'elle se rend compte qu'elle s'efface face à Sarah et se pousse au suicide tandis que Sarah décide d'ingurgité ce que Gigi à recracher de Jesse pour prendre leur places et s'érigeant en beauté fatale. D'ailleurs cela pousse la symbolique de l’œil, lui donnant un aura mystique et trompeur car malgré son omniscience, il est impuissant et ne décèle pas toujours la vérité. L’œil, la lune et le spectateur, sont mis en relations et ne sont que les témoins impuissants de cette tragédie absurde. Au final, le seul personnage qui aura un véritable poids de décision sur le récit, et celui de Ruby. Oscillant entre la vie et la mort, travaillant dans une morgue pour maquiller les cadavres et leurs donner une impression de vie, elle est celle qui se maquille derrière des faux-semblants, cachant son jeu. De sa profession à sa personnalité, le personnage est un exemple d'écriture et d'intelligence, rien n'est laissé au hasard et tout fait sens dans son traitement. Voulant être l'amie de Jesse, elle base cette amitié sur un intérêt personnel car elle la désire, elle veut être son amie mais dans une certaine limite, celle qui lui permettra d'arrivé à ses fins, manipulant ainsi les apparences. Elle est le puma qui pénètre dans la chambre de Jesse, celle qui s'immisce dans son intimité. Elle veut Jesse, et à travers la scène choc de nécrophilie qui l'implique, on comprends que si elle ne peut pas posséder Jesse vivante, elle se délectera de sa mort. Le personnage bascule et assouvi son fantasme, car l'amour est égoïste comme le prouve le moment où elle essaye de prendre la virginité de Jesse, elle pense avant tout à elle qu'aux sentiments ou crainte de sa partenaire, allant même jusqu'à se montrer brutale et à la lisière du viol. La satisfaction, elle l'aura dans la mort de Jesse - la mort est ici étroitement lié avec le sexe -, se baignant dans son sang et atteindra l'extase en la consumant. Sa dernière scène symbolisant un orgasme mêlé de sang.
Au final, Refn étudie les relations humaines, les rapports à nous-mêmes et en fait un conte horrifique réinterrogeant le sens de la divinité au sein d'un scénario minimaliste mais dense et particulièrement profond dans ses réflexions. En aucun cas, il ne tombe dans quelque chose de vide au contraire, il est tellement maladif dans sa manière de vouloir que tout est du sens que parfois la compréhension s'avère difficile. Il s'entoure d'un casting talentueux, s'amusant autant du physique des ses acteurs que de leurs palettes de jeux. Il s'amusera même à confondre Bella Heathcote et Abbey Lee Kershaw (toute deux impeccables), les filmant de la sorte à ce qu'elles paraissent avoir la même tailles. Soit en les plaçant sur différentes lignes de profondeurs, soit en utilisant la contre-plongé avant de faire basculer cela au sein du scène de douche magnifique, où leurs rapport de force évolue, une prenant l'ascendance sur l'autre, prenant tout la hauteur du cadre. Après ça, il les placera toujours sur la même ligne, une devenant toujours plus grande tandis que l'autre s’affaisse sous le poids de la concurrence et de la culpabilité. Elle Fanning est renversante, s'imposant avec une performance phénoménale et d'une subtilité rare tandis que Jena Malone s'impose comme la vraie révélation du film dans un rôle plus complexe, changeant et plus difficile aborder. Et elle y est parfaite du début à la fin, vampirisant l'écran malgré le fait que l'attention soit portée sur Fanning. On retiendra aussi Karl Glusman, assez juste et attachant, ainsi que Keanu Reeves, qui s'essaye a un nouveau registre et qui s'en sort honorablement.
La réalisation est techniquement hallucinante, avec une photographie brillante grâce à des jeux de lumières et de couleurs inventifs rappelant les plus belles heures du Giallo et en y signant une renaissance. Ici les influences étant très proches du cinéma de Argento par exemple. Le tout est aussi enveloppé d'un score musical dantesque signé par Cliff Martinez, qui est tantôt oppressant tantôt plus léger mais toujours brillant et mémorable, accentuant l'aspect fascinant de l'oeuvre. Une oeuvre mis en scène à la perfection par Nicolas Winding Refn, qui n'a plus à prouvé l'esthète formidable qu'il est. Composant ses plans comme personne, jouant avec les effets de miroirs pour accentuer ce monde d’apparence et virant dans l'abstraction la plus totale et de manière surréaliste au sein d'une scène de night club, de shooting et de défilé qui s'impose comme les visions horrifiques les plus mémorables de ses dernières années. Il n'hésite pas à bousculer le spectateur et le choquer, que ce soit au sein d'un passage nécrophile ou encore lors des dernières 30 minutes qui voit la violence du récit exploser pour prendre le spectateur par les tripes et ne plus le lâcher. Le tout est aussi superbe que glauque et malsain. C'est rythmé à la perfection, pensé de manière brillante et exécuté avec maestria. Beaucoup de scènes sont vouées à devenir culte.
En conclusion, The Neon Demon est un chef d'oeuvre magnifique et inestimable qui se complexifie et gagne en pouvoir de fascination à chaque visionnage. Un moment de cinéma où l'on ne peut pas en sortir indemne, que l'on adore ou que l'on déteste, c'est un film qui marque durablement. Accompagné d'un casting impeccable, Nicolas Winding Refn signe son meilleur film, celui qui cristallise son cinéma et qui y porte une réflexion, étant un cinéaste de la beauté, ici il l'étudie et la décortique montrant que l'humain est régit pas cette chose aussi superficielle qu'indispensable. Elle est tout aussi concrète qu'illusoire. Bourré de sens et de symboliques qui le rende difficile d'accès, il mérite cependant que l'on s'y attarde et qu'on le décortique car il recèle de formidables joyaux. D'une certaine manière, Refn termine un triptyque lancé par Valhalla Risiing, car il arrive au bout d'une logique lancé par ce dernier. Il est son film somme, celui où tout ses tics sont poussés à l'extrême, ce qui le rend aussi magnifique qu'absurde mais surtout indispensable. Le cinéaste devra sans doute se renouveler après ça, pour ne pas tomber dans la redite mais en attendant il livre un joyau rare et précieux qui marquera sans doute le cinéma.