Ayant débuté sa carrière en tant que romancier, Alex Garland à vite fait son trou dans le cinéma à travers ses collaborations avec Danny Boyle qui avait adapté son The Beach mais aussi mis en scène ses scénarios avec 28 Days Later et Sunshine. Après avoir travaillé en tant que scénariste dans le cinéma et le jeu vidéo, Garland décida de passer en 2015 à la réalisation avec son premier film, l'excellent Ex Machina. Oeuvre où il explorait les méandres de l'IA pour interroger ce qui faisait l'humain en traitant aussi son récit sous le prisme de l'émancipation féminine. Il signait un long-métrage complexe, fascinant et désespéré dans son rapport à l'humain consumé par sa propre soif de création et son rapport à soi quasiment divin. Un film qui laissait augurer le meilleur pour la suite de sa carrière.
Alex Garland à toujours été fasciné par le rapport à la religion et le sentiment de transcendance qu'il apporte à l'être humain et ce n'est pas une surprise de voir cet aspect être au cœur de son nouveau film. Sur beaucoup d'aspects, Annihilation est une oeuvre dans la continuité de Shunshine où on retrouve l'intérêt de Garland pour la mutation, physique ou de l'esprit, et le transhumanisme à travers l'intervention divine. En ça, le récit prend presque des dimensions bibliques et s'opère en différentes couches de lecture dans une parabole sur la dépression, la quête de soi autodestructrice et l'irrévocabilité de la mort. Comme souvent chez le cinéaste, la vie est une anomalie qui pousse les personnages à s'interroger sur sa fragilité. Une quête de savoir quasiment religieuse qui dévoile ses paradoxes, là où la création entraîne destruction et où la survie exige un sacrifice. Des thèmes qui reviennent souvent chez Garland et qui ici prenne une nouvelle dimension au sein même de l'univers que crée le cinéaste.
Annihilation est la déconstruction du cinéma de son auteur pour que celui-ci puisse à nouveau se le réapproprié. Le Shimmer au centre de ce film, une anomalie d'origine inconnue qui réfracte ce qui se trouve en son sein pour le remodeler en quelque chose de nouveau, est le parfait symbole de la démarche de Garland. Ici il met en pièces l'humain et son style pour mettre ses obsessions à nues dans une oeuvre sans concessions et d'une inventivité constante que ce soit dans l'univers qu'il dépeint mais aussi les situations qu'il explore. On peut lui reprocher sa structure narrative très didactique, où le côté romancier de Garland ressort un peu trop et plonge dans une narration très "chapitrée", ou encore que les personnages secondaires servent d'avantage de fonctions symboliques plus que d'éléments émotionnelles ou narratifs. Néanmoins on ne peut que s'incliner devant l'abattage de situations inédites et déstabilisantes qui donne à Annihilation un aura unique qui dans ses moments de tensions, ses visuelles ou encore son climax arrivent souvent à créer des séquences jamais vu et qui donne une nouvelle profondeur au genre de la SF. Une imagination constante dont on pardonnera pourtant un passage un peu trop attendu et exécuté maladroitement lorsqu'un des personnages perd la boule.
Mais cela ne pèse vraiment pas lourd face à l'originalité de ce qui nous est proposé et qui arrive à donner un tournant rafraîchissant à la SF qui pourtant semblait un peu trop se répéter ces derniers temps. Le tout est en plus dominé par un très bon casting, avec en tête Natalie Portman qui n'a pas été aussi inspirée et charismatique depuis bien longtemps. Le tour de force de Annihilation vient aussi de ses visuels, alors qu'avec Ex Machina Garland s'était imposé avec une réalisation sobre et une mise en scène minimaliste, il profite ici pour véritablement montrer ses capacités de metteur en scène. Le film est un ravissement constante dans son imaginaire unique avec son bestiaire, ses décors et son traitement des formes aussi spécifique que terriblement cohérent. Fasciné par la génétique et la mutation, il offre des jeux de couleurs et de formes souvent brillant aidé par une photographie léchée et des effets spéciaux au réalisme quasi palpable. Il nous gratifie de visions horrifiques mais qui ne s'impose pas par la laideur de ce que l'on voit, mais au contraire de la beauté qui se cache derrière. La monstruosité n'est ici pas laide, elle est d'une beauté déroutante presque poétique et onirique. Chose accentuée par un score musical envoûtant qui appuie cette ambiance hypnotique. En ça, le climax est un des moments les plus effrayants, fascinants et mémorables vu de récentes mémoires dans un film de SF.
Annihilation est un classique instantanée de la SF. Un film à l'intelligence remarquable et aux thématiques fortes où Alex Garland confirme son statut de brillant cinéaste. Réflexion sur l'humain en tant que destructeur et créateur de ses propres tourments où son irrationalité n'est justifié que par le divin et l'extraterrestre. L'être humain n'étant qu'une créature insensée où son existence apparaît comme une anomalie, son organisme même étant créer pour s'autodétruire. Fascinante exploration de l'Homme à travers son rapport à la religion et à la science, Garland assoit son cinéma et s'impose aussi comme un réalisateur à l'imagination débordante qu'il expose au travers d'une mise en scène ingénieuse. Soutenu par un très bon casting, il signe une oeuvre mémorable et inventive qui fera date par son audace et son jusqu'au boutisme. Même si la narration est un peu trop didactique et que le traitement des personnages secondaires est un peu faible, ce sont des défauts dérisoires à une grande oeuvre. Unique et intemporel dans son atmosphère particulière et son traitement inspiré de l'invasion extraterrestre, Annihilation est le genre de film qui fait évoluer un genre. Un peu comme l'avait fait le récent Under the Skin dont les deux films partagent quelques similarités.