Ben Wheatley abandonne les sommets de la tour de la folie de "High-Rise" et va s'allonger au sol aux côtés de gangsters blessés et contraints de ramper comme des vers de terre pour mieux flinguer à tout va. Le générique d'ouverture avec ses plans aériens se recentrant peu à peu sur les passagers d'une fourgonnette sur une route semble d'ailleurs traduire à lui tout seul cette perte d'altitude. Mais si "High Rise" et "Free Fire" ne se situent pas sur les mêmes hauteurs physiques, leurs thématiques, elles, vont rester sensiblement les mêmes. Ben Wheatley continue en effet d'explorer le caractère de l'Homme face à un déchaînement de violence et l'applique cette fois aux films de gangsters à l'humour noir qu'un Guy Ritchie ne renierait pas.
Une vente d'armes dans un entrepôt tourne mal à cause d'une rencontre antérieure forfuite. Après avoir tiré dans tous les sens, les protagonistes se retrouvent à terre, tous plus au moins blessés, et cherchent un moyen de s'en sortir sans se prendre une nouvelle balle...
"Free Fire" prend dès lors la forme d'une passionante partie d'échecs à balles réelles où les pions seraient des lombrics humains prêts à tout pour ramper vers la sortie. Évidemment, comme dans "High Rise", les différents camps de chaque gangster sont solidement identifiés au début mais, peu à peu, ceux-ci vont s'effriter au fur et à mesure que le danger de la situation grandit pour laisser place à un individualisme exacerbé et engendré par le seul instinct de survie. L'Homme est prêt aux pires bassesses pour s'en sortir, alors imaginez un peu une bande de gangsters dont la morale n'est déjà pas une référence !
Par ailleurs, devant la profusion de tous ces personnages hauts en couleur bloqués dans un même lieu, on aurait pu craindre de s'y perdre un peu comme la situation ne se prête pas forcément à l'approfondissement de chacun mais Ben Wheatley réussit à les rendre à peu près tous facilement identifiables en appuyant sur les traits de caractère (parfois caricaturaux) qui leur sont propres grâce à des répliques remplies d'un humour particulièrement bien senti dans lequel le film ne cesse de baigner. Et puis, il faut dire que le casting quatre étoiles de véritables "gueules" y contribue aussi beaucoup (Armie Hammer, Sharlto Copley, Cillian Murphy, Brie Larson, Noah Taylor, Sam Riley, ... tous sont judicieusement choisis).
Mais la grande question qui brûlait nos lèvres à la lecture du pitch de "Free Fire" était de savoir si le film allait tenir sur la durée sans sombrer dans l'ennui -ben oui, voir des gens tous à terre au bout d'une demi-heure ne garantissait pas un rythme des plus trépidants. Rassurez-vous, "Free Fire" tient constamment en haleine en multipliant des rebondissements toujours teintés d'un ton absurde latent, il est quasiment impossible de savoir qui va survivre ou non tant le scénario joue à une sorte de roulette russe géante qui peut toucher n'importe quel personnage à tout moment. De l'arrivée de mystérieux nouveaux assaillants à la chanson "Annie's Song" sortie de nulle part et en totale décalage avec le reste, on s'éclate tout simplement devant cette fusillade aux nombreuses surprises et contenant sans doute le plus grand nombre de bras cassés de l'Histoire parmi ses participants.
Visuellement, Wheatley est aussi au rendez-vous en dénichant astucieusement un juste milieu entre la violence graphique (et les artifices cartoonesques ou non qu'elle peut engendrer) et un certain réalisme pour insuffler un aspect crédible permanent à ce huis-clos meurtrier. La caméra a beau coller la tête du spectateur dans le sol poussiéreux de la vieille usine pour le mettre au même niveau que les personnages, elle n'oublie néanmoins pas de réserver de jolies envolées lorsque la poudre des armes a à se faire sentir. Seule la gestion de l'espace dans le confinement de cette usine peut prêter à discussion, on peine en effet parfois à s'y retrouver sur la position exacte de chaque protagoniste par rapport à un autre et l'immensité de ce hangar semble fluctuer selon certains de leurs agissements
Peut-être que Ben Wheatley s'était envolé trop loin dans les hauteurs de la tour du décevant "High-Rise" mais, en choisissant d'atterrir sur la terre ferme dans le milieu du banditisme des 70's, le réalisateur anglais a pris la meilleure des décisions pour à nouveau nous régaler de son talent.