Stephen Frears, qui n’est pas le premier venu, connait son métier. Voilà un film tenu de bout en bout, sans une seule scène superflue, sans un seul dialogue tirant en longueur, qui tient la route du début à la fin sans jamais nous faire décrocher. C’est réalisé avec beaucoup de maîtrise et de professionnalisme (même si on peut trouver que ça manque peut-être un peu parfois de folie ou d’audace) et la musique, omniprésente, est utilisée avec intelligence. Il n’y a pas que du classique et de l’opéra mais aussi du jazz, mais jamais en présence de Florence Foster Jenkins. Comme si, symboliquement, toute amoureuse de la musique qu’elle est, elle reste dans le domaine exclusif du classique et ne semble pas concernée par l’émergence d’une musique nouvelle qui va prendre presque toute la place. D’une certaine manière, cette femme semble figée dans un monde qui va devoir perdre son monopole, un monde du passé, pour tout dire. Meryl Streep, dont personne ne peut douter du talent, compose une Florence Foster Jenkins à la fois drôle et tragique, affaiblie par une maladie qu’elle cache (et qui finira par l’emporter), amoureuse et passionnée, terriblement attendrissante et attachante. Elle chante tellement faux que cela sonne… faux parfois. On se demande dans quelle mesure le scénario n’a pas exagéré un tantinet tant tout cela est dissonant et désagréable à l’oreille ! Maisn du coup, l’effet comique est assuré. Le choix de Hugh Grant pour incarner son mari (ils vivent séparément et forment un couple amoureux mais platonique) m’a semblé déconcertant au premier abord, je l’imaginais… comment dire… trop jeune pour incarner le mari de Meryl Streep ! Mais c’est surtout parce que je garde à l’esprit le Hugh Grant « jeune premier » des années 90, dont il arrive malgré tout à se détacher peu à peu. Il compose un Bayfield sincère malgré les apparences (St Clair est aussi mauvais acteur que sa femme est mauvaise chanteuse, et il profite pleinement de sa fortune) et plus le film avance, plus on sent l’attachement fort qui lie ces deux artistes contrariés. Le second rôle le plus aboutit échoue à Simon Helberg, qui incarne un pianiste pétrifié par la voix de sa chanteuse, très réticent à l’idée de flinguer sa carrière en se montrant à ses côtés (on le comprend) mais qui va, lui aussi, succomber au charme de Madame Florence et de sa sincérité. C’est bien de sincérité qu’il s’agit ici, et le scénario ne le perd jamais de vue : Madame Florence parle et surtout chante avec son cœur, avec tout son cœur et c’est cela qui emporte l’adhésion au final. Le film, qui tire davantage vers la comédie que vers le drame (au point de flirter parfois avec le surjeu et le Boulevard), ne perd pas l’occasion de montrer dans quel bain de cynisme et d’hypocrisie ce petit monde new-yorkais évolue. St Clair sélectionne l’audience, interdit l’entrée aux vrais mélomanes et aux critiques incorruptibles (qui semblent bien peu nombreux !), soudoie prof de chants et directeurs de salle, protège tant qu’il le peu sa Florence (qui est aussi, il faut bien le dire, sa poule aux œufs d’or !). Mais un jour les choses lui échappent, la Carnegie Hall se profile et d’un coup, il ne maîtrise plus rien : Le vrai public, qui voit en Florence Foster Jenkins une occasion de rire (on est en 1944, on n’a pas beaucoup l’occasion de rire à l’époque !) prend au second degré un spectacle qu’elle donne avec tout son cœur. On croit que cela va passer en force, on fait semblant d’y croire mais c’est fugace et la vérité, cruelle, refait toujours surface quoi qu’on fasse. La toute fin du film, tragique, évite le piège du pathos en restant digne et juste émouvante. Du coté des petits défauts, on pourra reprocher parfois au film de Stephen Frears une certaine facilité, un petit manque de finesse (dans l’humour notamment), quelques scènes un peu surjouées et outrancières. Le film aurait pu faire la part plus belle à l’émotion et moins à la comédie, il aurait gagné en équilibre et en finesse. Mais cela ne gâche pas la bonne impression générale d’un long métrage qui tient ses promesses et nous emporte pendant presque 2h, sans faiblir, dans le sillage d’une femme qui aimait la musique d’un amour non réciproque…