La tagline de l’affiche du film dit tout : « L’évasion fiscale n’est pas forcément illégale mais toujours immorale ». C’est un peu comme un grand patron qui ne trouve rien à redire à se faire augmenter de 25% par son conseil d’administration pour le récompenser d’avoir limité la masse salariale de son entreprise en gelant les salaires de ses salariés. Autant le dire tout de suite pour éviter une quelconque déception, la forme du film est beaucoup trop académique alors que le spectateur sait qu’on peut faire beaucoup mieux dans le documentaire (cf. « Merci Patron » sorti en ce début d’année 2016, « Tout est Permis » sorti en 2014, « Sugar Man » sorti en 2012 ou « C’est dur d’être aimé par des cons » sorti en 2008). En revanche, le fond du film, lui, est top ! Selon que l’on juge que le plus important est la morale ou le légal, la perception du sujet ne sera pas la même. Ainsi, le sujet traité est pour certains de l’évasion fiscale ou de l’évitement fiscal, quand d’autres le considèrent comme de l’optimisation ou de l’efficacité fiscale. D’ailleurs, les dirigeants des grosses sociétés comme Amazon, Apple, Google ou Microsoft n’ont pas honte de faire certaines déclarations devant les commissions qui les auditionnent à ce sujet. Il n’y a aucun problème moral pour ces dirigeants de s’affranchir de l’impôt et de le laisser payer au « tiers-état », comme avant la révolution française puisque pour eux, la redistribution des profits doit concerner les actionnaires – un comble quand on sait qu’une action est détenue en moyenne 22 secondes - plutôt que les salariés qui travaillent toute leur vie pour vous. En effet, l’exemple le plus parlant est une entreprise comme Amazon qui souhaite livrer le plus rapidement possible les marchandises commandées par ses clients grâce à des infrastructures (routes ou voies ferrées) payées avec de l’argent public, mais l’argent des impôts des autres, des petites gens, de ses salariés par exemple qu’il est de bon ton, pour gérer au mieux la masse salariale (cf. la bonne gestion récompensée du chef d’entreprise en introduction), de payer le moins possible. Ces salariés ont pourtant besoin de services publics (éducation, santé, police, administration) qu’en tant que dirigeant responsable, il ne faut surtout pas financer par des impôts sur la société, puisque cet argent peut être mis à l’abri dans des paradis fiscaux qui, eux, ne demandent aucun engagement citoyen.
Pour cela, plusieurs techniques éprouvées existent : se surfacturer le coût de l’utilisation de la marque et des brevets par sa filiale montée dans un paradis fiscal ou minimiser la vente des matières premières par la filiale du pays producteur à celle du paradis fiscal qui les revendent ensuite à prix d’or. Une parade fiscale existe pourtant : arriver à traiter une multinationale d’un point de vue global et l’imposer en fonction du lieu où se font réellement les activités commerciales et non en fonction des lieux des montages juridiques artificiels. Des taxes sur les transactions financières peuvent aussi être un moyen d’humaniser ce qui ne l’est plus : le prix Nobel d’économie James Tobin, eu cette idée dès 1972 et elle a été reprise ces derniers temps sous l’appellation de taxe Robin des Bois. Plusieurs pays d’Asie dont la Corée du Sud l’appliquent d’ailleurs déjà avec succès depuis de nombreuses années.
Certains chiffres fournis par le documentaire donnent d’ailleurs le tournis : une trentaine de milliards de dollars sont à l’abri des impôts dans les paradis fiscaux alors qu’ils résorberaient facilement les dettes de nombreux pays, 75% des profits mondiaux des multinationales sont réalisés comptablement dans seulement 4 paradis fiscaux (Suisse, Singapour, Bermudes et îles Caïman).
Malheureusement, ce film ne devrait rien changer au capitalisme puisque ceux qui ont le pouvoir ne veulent pas de changement mais il serait salutaire de le présenter en préambule de toutes les assemblées générales d’actionnaires des grandes sociétés et dans les écoles qui forment nos élites pour faire réfléchir certains décideurs et certains acteurs de l’économie.