Il est des histoires d’amour qui vous écrasent, qui vous démolissent, qui vous cassent en deux et dont on ne se remet jamais tout à fait. C’est vieux comme le monde, c’est vieux comme la littérature, comme le cinéma. On ne peut pas dire que le sujet du film de Pierre Godeau soit révolutionnaire. Révolutionnaire non, mais bouleversant oui, et à beaucoup de points de vue. En s’inspirant d’une histoire vraie, il filme en 1h50 la descente aux enfers d’un homme consumé par ses propres sentiments, d’un homme qui va aller au bout de sa passion, alors que tout lui hurle aux oreilles de laisser tomber : la société, l’administration, la morale. Il a tout à y perdre, et d’ailleurs il va tout perdre, parce que c’est inévitable. Et pourtant, il y va, parce qu’au fond, quand on aime on n’a pas toujours le choix. Construit comme une spirale infernale (mais il n’y avait pas vraiment d’autres angles possibles), de manière très propre et très digne, « Eperdument » c’est d’abord et surtout une histoire d’amour impossible dans la France de 2010. Quand je dis que c’est filmé de manière digne, j’entends par là que les scènes de sexe ne sont pas filmées sans que les sentiments ne soient toujours très présents (c’est la parti pris de Pierre Godeau, je ne sais pas s’il s’éloigne de la réalité ou pas), qu’il n’y a pas de voyeurisme dans la façon dont Pierre Godeau met en scène une passion amoureuse et charnelle interdite. Il place dans son film très peu de musique : ce sont surtout les chansons du générique de début et du générique de fin qui restent en tête et sont parfaitement choisies, un tout petit peu d’humour sans que cela fasse déplacé. Son film est très bien dosé, il est équilibré, je trouve. Il a confié le rôle d’Anna à Adèle Exarchopoulos, la nouvelle coqueluche du cinéma français, et elle parvient à composer une jeune femme complexe et insaisissable, à la fois fragile et vénéneuse, qu’on n’arrive jamais vraiment à cerner. Cela met d’ailleurs souvent un peu mal à l’aise car on ne saura finalement jamais le fond de sa pensée et ses motivations profondes. Je dois confesser que si on m’avait posé la question à priori, je n’aurais jamais pensé à Guillaume Gallienne pour tenir le rôle titre, celui de Jean. Et j’aurais eu bien tort car il est parfait de justesse et de sincérité de la première à la dernière image. Barbu, les cheveux un peu longs, il campe un directeur de prison qui ne fait rien d’autre, au final, que de tomber amoureux d’une jeune femme. Il est beau, il est touchant et je comprends parfaitement qu’on puisse tomber amoureuse d’un homme comme cela, il rend son personnage et l’histoire parfaitement crédible. Quant au scénario, je le trouve tout à fait convaincant. Et je dois avouer qu’il y a dans « Eperdument » quelque chose qui ne parlera peut-être pas à tout le monde mais qui, à mes yeux, fait mouche. Dans une époque où l’individualisme prime, dans une époque où on aime puis on oublie, où on aime puis on renonce, où on aime puis on se tourne le dos, où on aime et puis se quitte, Pierre Godeau filme une histoire d’amour absolue et pure. L’amour qui consume Pierre nous apparait à l’écran comme complètement fou : il prend de plus en plus de risque, il ignore les conseils de ceux qui « ne lui veulent que du bien », il finit par commettre l’irréparable (l’illégal). Sur notre siège, on est à la fois effaré de voir cet homme courir à sa perte, et en même temps qui n’aurait pas envie d’être aimée de la sorte ? Le scénario à une autre qualité, il met en scène la vie carcérale avec, là encore, une vraie crédibilité et une vraie dignité : on y voit tout : la violence, le suicide, la misère sexuelle, mais aussi la vie quotidienne, le travail en prison payé 9€/jour et la cantine et ses gels douche à 6€, la télévision comme fenêtre sur la vie dehors (et elles regardent quoi les filles enfermées à 4 dans une minuscule cellule ? « Secret Story », une émission qui enferme ses candidats et les font vivre les uns sur les autres !), l’éducation, la possibilité de passer des diplômes. Je ne sais pas si la vision de la prison dans le film de Pierre Godeau est édulcorée, peut-être, mais elle est présentée de façon bien moins manichéenne (dans un sens où l’autre) que dans d’autres films. Le scénario choisit de ne jamais évoquer les raisons qui font qu’Anna est incarcérée, tout le monde semble le savoir mais ça n’est jamais mentionné, à aucun moment. C’est un parti pris que je peux comprendre étant donné le fait divers dont l’histoire s’inspire, cela aurait gravement parasité le film. Au niveau des petits défauts, on peut regretter que les seconds rôles soient assez peu mis en valeur et pourtant Stéphanie Cleau, qui joue l’épouse de Pierre, à un joli rôle qu’elle incarne avec justesse et qui aurait mérité un peu plus d’éclairage, comme l’ensemble des seconds rôles. La fin d’ « Eperdument » nous laisse un peu sur notre faim, même si les dernières images sont très belles, on devine comment le destin de Pierre va se sceller sans en avoir l’absolue certitude. C’est un petit peu frustrant car finalement, on s’est, au fil des minutes, carrément attaché à ce couple maudit et surtout à cet homme amoureux au-delà de toute mesure.