Une fois de plus, la Palme d’Or fait polémique. C’est à croire que cet état de fait est devenu une litote. Le cru 2015 est signé Jacques Audiard qui, 6 ans après le Grand Prix accordé à Un Prophète, reçoit enfin la récompense suprême. Dès le départ, il a annoncé qu’il s’était lancé dans l’élaboration de son film à partir de deux sources d’inspiration à priori difficilement connectables : Le roman Les lettres persanes de Montesquieu et le film Straw Dogs de Sam Peckinpah. Et pourtant, en voyant le résultat, le lien entre les deux œuvres, qu’est le déracinement, apparait comme évident et superbement traité par le parti-pris, pourtant discutable, d’Audiard. En embauchant trois acteurs non-professionnels sri-lankais et en les faisant jouer dans leur langue natal, le tamoul, le moins que l’on puisse dire est le réalisateur s’est imposé des contraintes colossales au profit d’une recherche d’authenticité. Et en axant le récit depuis le pont de vue de deux d’entre eux, le drame ressenti par leurs personnages passe par un regard très subjectif apporté par le choc des cultures. C’est cette subjectivité, source d’une tension omniprésente et d’un alourdissement de la violence, qui a justement posé polémique car là où le contexte aurait naturellement suscité une approche sociétale autour des difficultés d’intégration des immigrés (ce qui aurait justement été développé en adoptant le point de vue de la jeune fille allant à l’école en classe d’’adaptation), mais c’est la peur que ce couple -traumatisé par la guerre, c’est indispensable de le souligner- ressent envers les voyous de leur quartier qui devient l’élément central de cette réalisation. La façon dont les autres habitants du quartier, les plus âgés et donc ceux qui ont eux-mêmes émigrés pour venir vivre en France, n’apparaissent que comme des fantômes errants dans les halls de ces immeubles insalubres participe à cette angoisse que provoquent ces figures menaçantes de dealer traités par la mise en scène comme de véritables créatures de film d’horreur. Ce qui peut alors passer pour un film à charge se réappropriant les codes du film de gangsters est en fait, sur le fond, un habile mélange des genre, entre histoire d’amour subtile, drame intimiste et revenge movie brutal, dont le cadre est finalement davantage un prétexte à sa finalité qu’un sujet d’étude et dont la façon de passer d’une scène d’ouverture marquée par un réalisme acerbe à un happy-end purement superficiel indique bien qu’il s’agit d’un exercice purement fictionnel dans lequel il serait dommage de chercher un discours politique profond ou une étude sociologique. Sur la forme, ce sont donc avant tout les interprétations des comédiens (les trois révélations sri-lankaises bien sûr mais aussi Vincent Rottiers qui réussit l’exploit de rendre attachant son personnage pourtant terriblement antipathique) mais surtout la maitrise de la mise en scène pour installer cette atmosphère menaçante et cette montée crescendo de la violence de la peur qui va avec, qui font de ce Dheepan un long-métrage captivant et même un exercice cinématographique parfaitement réussi.