Ici donc, Audiard (toujours accompagné de son indéboulonnable complice Thomas Bidegain à l'écriture, mais aussi de Noé Debré pour le coup) nous conte l'histoire d'un guerrier tamoul qui se bat du côté des Tigres, des indépendantistes réclamant la création de leur propre État contre le Sri Lanka. Cet homme ne se nomme pas réellement Dheepan, c'est le nom qu'il "emprunte" lorsqu'il raccroche les armes et décide de fuir cette guerre civile (à ce propos, celle-ci s'est terminée en 2009 après seize années de conflit). Dheepan est en réalité un homme qu'il ne connaît pas, décédé depuis quelques mois, et dont on lui offre de récupérer les papiers. Le guerrier déchu se fait alors lui aussi passer pour mort. Un fantôme dans le corps d'un mort en somme. Il usurpe non seulement son identité, mais aussi sa vie. En effet, Dheepan était marié et père d'une fille de neuf ans. La femme et les enfants du guerrier tamoul sont morts durant la guerre, alors il se trouve une nouvelle famille de fortune, une femme et une fille qu'il n'a jamais vues et qui cherchent elles aussi à quitter le Sri Lanka. Ces trois-là ont tout perdu, ne se connaissent pas, et les voilà parachutés en France, à la recherche d'un asile politique. Ils finissent par s'installer, après pas mal de galères, dans une cité sensible de la banlieue parisienne où le nouveau Dheepan trouve un emploi de gardien d'immeuble, où une nouvelle vie commence. Dans un pays qui n'est pas le sien, où l'on parle une langue qu'il ne comprend pas, formant une fausse famille avec deux personnes qu'il ne connaît pas, Dheepan tente de se reconstruire. Mais la violence régnant en maître dans la cité va agir comme une menace pesante, de plus en plus lourde, et l'empêcher de trouver le repos et de panser ses plaies...
La première scène montrant le personnage principal évoluant dans l'Hexagone est éloquente : il vient de quitter un pays ravagé par la guerre, à la recherche d'une nouvelle lumière, et les premières que l'on voit apparaître de lui sont celles de jouets pour enfants clignotant dans la nuit et qu'il vend à la sauvette. Lui, le guerrier implacable, se retrouve affublé d'un serre-tête lumineux de pacotille et déambule dans les rues. Cette dichotomie symbolisant sa déchéance est aussi pathétique que touchante. Puis, une fois bazardé gardien d'immeuble, Dheepan va alors tout tenter pour passer inaperçu et se reconstruire. Malin, il comprend vite les rudiments de son nouveau métier et s'emploie à l'exercer au mieux. Il apprend à parler la langue de Molière, et essaie progressivement de se rapprocher de cette famille de substitution, tout aussi paumée que lui. Et notamment d'une femme dont le seul désir est de rejoindre sa famille exilée en Angleterre et non de croupir ici à Paris. Il se fond tellement dans la masse, qu'il va jusqu'à demander à son "épouse", de confession hindouiste, de porter un voile car "toutes les femmes en portent ici". Petit à petit, l'ancien guerrier tamoul se convainc d'être Dheepan, au point de finir lui aussi par croire à ce mensonge. Mais il semble bien être le seul. Car de solitude, il est souvent question ici. Même s'il est entouré au quotidien de deux compatriotes, Dheepan est seul. Tout comme elles par ailleurs. Les héros d'Audiard sont de toute façon des solitaires. Des gens blessés, broyés, des inadaptés au monde dans lequel ils évoluent aussi. Ils taisent un rejet, une incompréhension, une blessure, contiennent une violence sourde, enfouie. Et tout ça ne demande qu'à exploser...
Lire la critique complète sur Chronique Mécanique...