Le rire, c'est bien connu, est l'opium du peuple, celui qui en période de crise ou de difficulté personnelle constitue le meilleur antidote contre la déprime. Les comédies au cinéma remplissent depuis toujours cette fonction au sein de tous les cinémas nationaux. Miroir tendu à la société, elles permettent par la dérision de montrer le ridicule des comportements et des situations, permettant ainsi au spectateur de faire à bon compte son propre mea culpa sur le dos des acteurs qui endossent pour l'occasion tous les défauts petits ou grands qui sont le lot de chacun. Dans le meilleur des cas, cela donne la comédie à l'italienne des années 1960 ou l'éternelle comédie américaine capable de traverser les décennies en se renouvelant au gré du talent intarissable de ses réalisateurs, scénaristes et acteurs. Dans le pire des cas cela donne la comédie à la française franchouillarde ou "boboïsante". Non pas que notre cinéma soit incapable de produire l'excellence dans le genre comme l'ont montré des réalisateurs comme Claude Autant-Lara, Gilles Grangier, Georges Lautner, Gérard Oury, Patrice Leconte, Pierre Salvadori , Albert Dupontel et bien d'autres, mais le plus souvent la paresse des scénarios qui se précipitent sur tous les lieux communs, plonge les acteurs dans la caricature, y compris les plus brillants dans le domaine. Traiter des grands phénomènes de société contemporains est normalement le terreau fertile des scénarios qui font mouche sans prise de risque énorme. Les américains le plus souvent dans le registre de la comédie dramatique y réussissent à merveille, sachant tirer le meilleur parti du propos initial en s'efforçant de conserver une crédibilité qui permet facilement l'identification du spectateur à l'histoire. Chercher à copier ce modèle avec maladresse, en voulant déclencher le rire par des gags trop lourds, relève soit d'un manque de confiance en soi des scénaristes et réalisateurs, soit d'un profond mépris de leur part consistant à penser que la nuance n'est pas à la portée du quidam moyen. La vérité est sans doute un mélange des deux. "Le grand partage" d'Alexandra Leclère en est l'illustration parfaite qui gâche une bonne idée de départ en la surchargeant des poncifs les plus éculés. La peur du grand remplacement qui mine une partie grandissante de la population est incontestablement la cible d'Alexandra Leclère. Les campements d'immigrés ou plutôt de réfugiés comme on les appelle pudiquement désormais, se multiplient dans Paris et viennent jusque dans les beaux quartiers culpabiliser leurs habitants dont sans doute une partie des plus connus s'indigne avec véhémence de la situation sur les plateaux de télévision. Que se passerait-il si un gouvernement de gauche décidait d'imposer le partage des surfaces habitables le temps d'un hiver exceptionnellement rigoureux ? C'est sur cette décision plus qu'improbable que la réalisatrice souvent mieux inspirée a choisi de nous faire rire tout en nous plaçant face à nos contradictions. Pourquoi pas ? Encore fallait-il ne pas nous servir cette comédie de boulevard qui tente de concentrer dans une cage d'escalier les principales composantes de l'échiquier politique actuel où s'affrontent le couple de droite traditionnel ratatiné sur lui-même (Didier Bourdon et Karin Viard), le couple bobo aux idées larges mais aux actions beaucoup plus étriquées ( Valérie Bonneton et Michel Vuillermoz), la concierge d'extrême droite qui tire les marrons du feu (Josiane Balasko) et le représentant d'une minorité (Patrick Chesnais) au cœur trop grand pour lui. Encore une fois on pêche par le "trop", chaque personnage étant l'archétype de son genre social. Avec de tels fardeaux à porter, les comédiens ont bien du mal à ne pas tomber dans le drôle pathétique. La palme revenant à Valérie Bonneton qui coiffe Didier Bourdon sur le fil. Deux acteurs pourtant excellents par ailleurs. On pouvait craindre le pire pour Karin Viard qui n'hésite jamais à donner de sa personne quand il s'agit de forcer le trait . Si elle n'échappe pas à son éternelle scène de frustration sexuelle enfiévrée, elle a su trouver le ton juste pour faire de son personnage, le plus touchant de cette micro société décrite à la serpe par la réalisatrice qui n'épargne pas davantage les réfugiés décrits comme particulièrement ingrats. On ne peut s'empêcher de penser qu'Alexandra Leclère et ses acteurs tous expérimentés ont senti venir à eux avec ses lourds sabots, le nanar imparable. Pourtant personne visiblement n'a rien tenté en cours de tournage pour corriger le tir. Ce n'est après tout qu'une comédie ratée mais inoffensive qui passera aux oubliettes. Une de plus !