Tout l’attrait de “Colossal� réside dans son concept hautement improbable, qui réunit deux histoires sans aucun rapport apparent pour mieux les fondre en une seule : d’une part, ce poncif du cinéma américain qu’est le retour aux sources : paumée et plaquée par son mec, Gloria retourne dans sa ville natale pour faire le point et retrouve un de ses amis d’enfance qui possède un bar ; d’autre part, le kaiju-eiga : à l’autre bout du monde, un monstre géant apparaît périodiquement à Séoul et dévaste la ville. La plupart des réalisateurs se seraient plantés avec un concept aussi tordu, même s’ils l’avaient pitché eux-mêmes...mais pas Nacho Vigalondo qui, après le Mindfuck temporel, le vaudeville sur fond d’invasion Alien et le Thriller numérique fenêtré, prouve à nouveau qu’il n’y a pas grand chose qui lui fasse peur. La partie américaine témoigne d’une parfaite maîtrise des codes de la romance-sur-fond-de-remise-en-question, dont il ne conserve que la meilleure partie après en avoir évacué tous les clichés irritants, tandis que la partie coréenne possède des effets spéciaux suffisamment probants pour ne pas ruiner tout le crédit du film. Surtout, “Colossal� fait preuve d’une virtuosité peu courante dans le mélange des genres : d’une entame dont on croit comprendre les mécanismes, le film se montrer capable d’un humour qui aurait pu être totalement inapproprié mais qui fonctionne à la perfection, avant de transformer ce marivaudage inoffensif en quelque chose de beaucoup plus noir, pervers et manipulateur, sans qu’on se sente, en tant que spectateur, trahi par la tournure prise par les événements. Quant à la manière dont les deux trames s’entrecroisent et se relient l’une à l’autre, il ne faut évidemment pas exiger la cohérence à tout prix : il s’agit avant tout d’un prétexte pour développer quelque chose d’autre, et il serait dommage de gâcher la surprise (même s’il suffit d’une petite demi-heure pour qu’on soit fixé). Sachez simplement que la logique ressemble à celle qui prévalait dans un célèbre film de Spike Jonze sorti il y a une vingtaine d’années. Que cette petite perle, cette symbiose parfaite de comédie, de monster-movie et de thriller rural, qui est probablement le meilleur film de Vigalondo à ce jour (en tout cas, certainement le plus équilibré) ait bénéficié d’une sortie en catimini chez nous, est une preuve supplémentaire que quelque chose va très mal dans le cinéma, même le cinéma de genre, contemporain.