Julieta, Elle. Deux œuvres présentées cette année au festival de Cannes, deux portraits de femme. La comparaison ne peut pas aller beaucoup plus loin, tant les deux films sont différents (le premier est un mélodrame, le second un thriller). Pourtant, on peut mettre en parallèle les deux manières de représenter le personnage principal. Almodóvar raconte la vie de Julieta de manière chronologique et montre comment un enchainement d'événements malheureux a pu assombrir sa vie, tandis que Verhoeven présente immédiatement Michèle comme une femme normale victime de viol, avant de fissurer de son portrait en explorant son passé, toujours plus loin, toujours plus sombre. Le réalisateur met donc en scène un personnage étrange, avec lequel on ne sait pas trop quoi faire. Michèle fait preuve d'un comportement odieux et n'hésite pas à s'engager dans plusieurs magouilles (sexuelles ou juridiques), mais elle possède quelque chose de profondément fascinant. Déjà, Isabelle Huppert met à contribution son jeu particulier et ses intonations souvent qualifiées de bourgeoises pour renforcer la fausseté de son personnage. En plus de cela, Michèle agit toujours avec désinvolture et ne fait preuve d'aucun tact quand elle est confrontée à la souffrance, la sienne comme celle des autres. Cette attitude contraste beaucoup avec ce que l'on sait d'elle, ce qu'elle a vécu, et (Dieu merci) le réalisateur ne fait jamais de la psychologie de comptoir pour expliquer ses actes. Michèle est juste comme cela, froide, presque détachée du réel. Elle conserve tout le long du film une assurance, comme si elle avant le contrôle sur tout. Verhoeven a su contenir la folie manifeste de cette femme pour la rendre cohérente et hypnotisante. Et ce paradoxe, cette opposition entre deux pôles, ne se limite pas à l'héroïne. Le film présente un milieu bourgeois malsain, où évoluent des personnages antipathiques qui se situent tous quelque part entre la méchanceté pure et la stupidité profonde. En partant de ce microcosme, il y a quelque chose qui monte, un mélange de malaise et de tension, qui fait que le spectateur est pendu aux lèvres des acteurs, qu'il attend la fin de chaque réplique en ayant l'impression que tout va voler en éclats dès qu'elle sera terminée (le réalisateur rythmant parfaitement chaque phrase). Et à côté de cela, le long-métrage propose un humour insolent, à la fois noir et cynique, qui m'a personnellement désorienté. Il semble que le film demande au public s'il doit rire de ce qu'il voit, si c'est approprié de se moquer de la même manière des accidents farfelus (le bébé) et des malheurs plus profonds (ce que dit Huppert au chat). La qualité de l'écriture permet de soulever cette question avec finesse dans un film qui en manque un peu. C'est un peu le problème avec la démarche de Verhoeven : il y va à fond, quitte à érafler les murs en passant. Plusieurs choses passent plus ou moins bien selon le contexte, notamment les dialogues. Si je loue leur capacité à susciter un je-ne-sais-quoi tout en approfondissant les personnages, il est vrai qu'ils doivent sonner particulièrement faux pour quelqu'un qui a du mal à rentrer dans le film, en particulier les répliques à la limite du one-liner. De plus, la représentation du milieu professionnel de Michèle (le jeu vidéo) est loin d'être un exemple de subtilité. J'apprécie le moment où on explique que l'entreprise vise un public qui se fout de la qualité, et je pense que l'aspect pulsionnel de ce média, bien que caricatural, fait sens dans le monde décadent du film. En revanche, montrer une cinématique de PS2 représentant un viol avec des tentacules et en faire un enjeu de l'histoire, c'est trop. Toutefois, cela n'enlève pas grand chose à la qualité du film, qui reprend le thème du viol pour proposer une histoire différente, où ce n'est pas l'identité de l'agresseur qui compte (heureusement car il n'est pas difficile à démasquer) mais la relation glauque que la victime cherche à établir par la suite. C'est violent et dérangeant, bref c'est un sacré retour pour Verhoeven.