Un peu comme Shane Black (voir ma critique sur The Nice Guys), Paul Verhoeven fait parti de ses réalisateurs qui ne parlent pas spécialement à la nouvelle génération et qui, pourtant, a à son actif une filmographie plus que lucrative. Il suffit de faire un retour dans le temps pour se rendre compte que le bonhomme se trouve être le réalisateur de grands films des années 80-90 que sont RoboCop, Total Recall, Basic Instinct et Starship Troopers. Et puis, après une dernière production hollywoodienne oubliable (Hollow Man en 2000) et un retour au cinéma néerlandais passé à la trappe question attention internationale (Black Book en 2006), plus rien de la part de ce cinéaste (si ce n’est un moyen-métrage en 2012, intitulé Tricked). Alors, quand ce dernier annonce son retour et ce aux commandes d’un film purement français, autant dire que l’attente n’a fait qu’accroître, avec l’espoir de retrouver la flamboyance du bonhomme. Ce qui est, avec Elle, chose faite !
Alors, autant prévenir tout de suite, le film n’est pas à la portée de tout le monde. Déjà parce que l’élément perturbateur est un viol, balancé à la figure du réalisateur de manière sadique et violente (
fond noir après le générique, « animé » par des cris et des bruits de vase brisé puis enchaînement sur le plan d’un chat regardant la scène avec une totale indifférence jusqu’à son dénouement
). Mais aussi car le reste du film, à savoir le vécu du personnage principal, sa façon d’agir face à son agression, relève d’une perversion sans nom qui peut mettre mal à l’aise. Là est tout simplement la puissance du cinéma de Paul Verhoeven, qui a toujours su parler et montrer la violence physique et sexuelle de manière crue, brutale et viscérale à travers différents genres et métaphores (il suffit de se rappeler du meurtre dans Basic Instinct ou encore de l’aspiration de cerveau dans Starship Troopers). Et qui, avec Elle, trouve ici le paroxysme de son cinéma en allant directement à la source des ses thématiques propres. Ainsi, alliant une sublime mise en scène aussi hypnotique que dérangeante (les plans, la musique utilisée… et qui, au passage, ne filme jamais Paris en mode carte postale) et une écriture aux petits oignons qui entretient le suspense jusqu’au bout (beaucoup de personnages et de passés tortueux qui font douter sur l’identité du violeur et ses intentions) font d’Elle un long-métrage tordu au possible mais surtout diablement intrigant, prenant et puissant.
Mais le film va bien plus loin qu’une espèce de quête personnelle, que de « chercher à faire justice soi-même ». En effet, Elle, malgré son histoire et son élément perturbateur, est avant toute chose le portrait d’une femme ambiguë. Celle qui, au lieu d’aller voir la police pour son agression, vit ça comme un événement banal au point de l’annoncer à ses amis/collègues avec indifférence. Et du coup, les différents personnages présents de base pour renforcer le suspense se trouvent finalement être de nouvelles facettes indirectes de l’héroïne, permettant d’en dresser sa personnalité atypique et dérangée. Un travail d’écriture en or qui transforme donc ce personnage, sur le papier hautement antipathique, en une femme tout de même attachante et qui donne envie de suivre ses péripéties morales et sociétales. Ce qui renforce encore plus le côté malsain, pervers et tordu de l’ensemble,
notamment quand celle-ci se met à draguer ouvertement son voisin (au point de se masturber à la fenêtre, jumelles en main, alors que celui-ci dresse une crèche avec son épouse) ou encore les raisons de son viol.
Il faut dire aussi qu’outre son scénario et sa mise en scène, Elle se paye le luxe d’avoir un casting véritablement bon. Voire même étonnant quand on connait la plupart de nos comédiens nationaux qui se retrouvent à l’affiche d’un tel long-métrage. Une remarque qui s’applique surtout à Laurent Lafitte ou encore Virginie Efira, habitués depuis quelques temps à la comédie (Les Petits Mouchoirs, De l’autre côté du périph et Papa ou Maman pour l’un, La chance de ma vie, 20 ans d’écart et le récent Un homme à la hauteur pour l’autre) et qui, malgré cela, parviennent à rendre crédible leur personnage respectif. L’occasion également de découvrir de toutes nouvelles têtes talentueuses comme Alice Isaaz et Jonas Bloquet. Mais tous, je dis bien tous, ne font aucunement le poids face à l’actrice principale, à savoir Isabelle Huppert. Si celle-ci a déjà démontré dans ses précédents films avoir un jeu bluffant de naturel, elle pousse le bouchon encore plus loin en interprétant avec délectation ce personnage dérangeant. Se présentant pour le coup comme l’argument principal pour voir Elle, en plus des autres qualités citées dans les paragraphes précédents.
Mais le film parfait est loin d’exister, et Elle possède de petits défauts qui font dire que l’ensemble aurait pu être bien meilleur s’il ne les avait pas. Et le grand ennemi du long-métrage reste, à titre personnel, sa durée excessive de 2h10. Je suis bien conscient qu’avec autant de personnages et d’intrigues à exploiter, cela se montre raisonnable de perdurer autant. Mais quand on voit que le climax traîne un chouïa la patte, on se dit alors que plus court aurait été souhaitable pour éviter une légère impression qu’Elle tourne au final en rond sur sa dernière lancée. Ce qui affaiblit légèrement l’aura de l’ensemble et lui fait perdre en crédibilité sur certains points (
notamment en ce qui concerne la production de jeu vidéo dans laquelle travaille l’héroïne
). Il est vrai que cela relève du chipotage. Cependant, face aux nombreuses qualités du long-métrage, il est tout de même bon de les signaler pour éviter que la critique soit monotone.
Car au final, cela n’enlève en rien le fait qu’Elle se présente comme le grand retour de Paul Verhoeven au cinéma. Et que son passage remarqué au dernier Festival de Cannes avec ce film, acclamé par la presse et les spectateurs, lui offre la chance de revenir sur le devant de la scène comme ce fut le cas auparavant. En tout cas, j’attends avec impatience son tout nouveau projet, en espérant bien entendu qu’il soit du même calibre qu’Elle, à savoir un film complètement représentatif de son long-métrage, qui n’a subit aucune censure ni pression (d’où le fait de ne pas avoir fait appel à des studios hollywoodiens) pour imposer sa vision et son savoir-faire.