Voilà donc le nouveaux film de Verhoeven qui divise tant le public. Une fois de plus, il faudra attendre au moins vingt ans pour que le film fasse l'unanimité (comme la majorité de ses films). Ici, on a le droit à la rencontre entre deux géants: d'un côté Isabelle Huppert (l'une, sinon la plus grande actrice française de notre temps), de l'autre Paul Verhoeven (alias le "hollandais violent", titre qui résume assez bien le bonhomme).
De nouveau, le hollandais livre un film que l'on peut qualifier d' inclassable. C'est l'une des grandes qualités de ce cinéaste: réaliser des films originaux, qu'on ne peut enfermer dans une catégorie. Ainsi, "Robocop" (1987) était sensé être un film de super-héros, donc adressé plutôt à un jeune public. Mais Verhoeven incorporait au genre une ultra-violence qui était en contradiction avec les conventions du film de super-héros.
"Elle" ne peut véritablement se ranger dans le genre du thriller. Certes, l'histoire est glauque à souhait, mais un étrange décalage amené par Michèle (I. Huppert) vient rompre la noirceur du propos. Au même titre qu'"Orange mécanique" (Kubrick, 1971) et "Série Noire" (Corneau, 1979), ce film présente un monde sinistre et sombre, où s'anime un ou plusieurs personnages si dérangés et décalés que le film prend une tournure comique. Comme les deux films cités précedemment, on est donc face à un personnage fascinant, magnifiquement incarné par Isabelle Huppert. Michèle est en effet un personnage imprévisible qui ne cesse de surprendre le spectateur (dés la scène d'ouverture en fait, ou, après s'être faite violée, la femme, plutôt que de prévenir la police, commande des sushis). Cette capacité à surprendre, on la retrouve dans le métier tenu par Michèle: dirigeante d'une entreprise de jeu vidéo C'est d'ailleurs ce don de la surprise qui empêche le film de basculer véritablement dans un thriller: dans un film policier classique, une femme violée mènera sa propre enquête pour coincer le coupable. Ici, Verhoeven crée une personne plus encline à reprendre son petit train-train qu' à trouver le violeur. On suit donc Michèle à travers sa relation avec sa mère (légèrement nymphomane), son fils (légèrement benêt), sa belle-fille (légèrement haineuse), ses voisins (légèrement catholiques)... et beaucoup d'autre personnages, tous légèrement étranges (y compris son père en prison, légèrement psychopathe). C'est pourquoi chercher une cohérence dans ce film est une erreur. On est plus près du monde du rêve (ou du cauchemar) que du monde réel.
Choquant, drôle, sexuel, grinçant; le film explore toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et forcément se révèle très clivant. Mais c'est un film absolument à voir (au passage, tous les acteurs sans exception sont formidables).