Il y a 8 ans, le réalisateur israélien Samuel Maoz avait réussi à scotcher les spectateurs en les enfermant durant 92 minutes à l’intérieur d’un tank israélien engagé dans l’invasion du Liban de 1982. Un exercice de style totalement réussi, ayant pour titre "Lebanon", et qui avait permis à ce réalisateur d’obtenir une récompense majeure, le Lion d’or de la Mostra de Venise 2009, pour ce qui était son premier long métrage de fiction. De nouveau en compétition à la Mostra de Venise, édition 2017, "Foxtro"t s’est vu attribuer le Grand prix du Jury, devancé pour le Lion d’or par "La forme de l’eau". "Foxtrot" a, par ailleurs, engrangé la bagatelle de 8 Ophir (Les Oscars / Césars israéliens), dont celui du meilleur film, en septembre dernier.
Un dicton affirme qu’il faut se méfier de l’eau qui dort. En matière de cinéma, il faut, de même, se méfier des films qui donnent l’impression de s’intéresser à la situation d’un pays et de ses habitants, mais qui prennent de grandes libertés avec la stricte réalité et qui fricotent avec l’absurde même dans les situations les plus graves. Attention, entendons nous bien : ce ne sont pas les spectateurs qui doivent se méfier de ces films, bien au contraire, non, ce sont ceux qui tiennent les rênes dans le pays concerné. C’est ainsi que "Foxtrot" semble être un film sur l’armée israélienne, sauf que, dans la réalité, les postes de contrôle sont aujourd’hui dotés d’équipements très modernes et très majoritairement privatisés. Pour le pouvoir, qu’y a-t-il à craindre d’un film où l’absurde côtoie le tragique, où le burlesque semble prendre le pas sur le drame, d’un film dans lequel le bâtiment où vivent les soldats penche de plus en plus et où leur jeu préféré consiste à chronométrer le temps mis par une canette pour dévaler une pente de plus en plus prononcée ? Eh bien, c’est ce pas de côté effectué par Samuel Maoz qui lui permet, sans avoir l’air d’y toucher, en donnant l’impression d’être à côté de la plaque, de se montrer particulièrement caustique quant à la situation actuelle de son pays et quant à la façon dont sont traités les palestiniens.
Malgré les nombreuses récompenses engrangées par "Foxtrot", ou, peut-être, à cause d’elles, ce film a fait l’objet d’une importante polémique en Israël. En cause, le jugement sans appel porté sur le film par Miri Regev, la Ministre de la culture israélienne, alors qu’elle n’avait même pas vu le film mais qui, en septembre dernier, clamait haut et fort qu’elle avait honte de ces récompenses israéliennes venant couronner une œuvre qui « salit l’image de l’armée» de son pays. Il est probable qu’on avait dû lui raconter les deux scènes les plus fortes du film : la fameuse bavure qu’on se gardera de « divulgâcher » et son prolongement, la dissimulation de cette bavure par un bulldozer. On aurait pu rajouter la parabole des chaussures, des chaussures de ville bien propres, bien cirées pour les chefs, les décideurs, ceux qui, le plus souvent, ne voient les zones de conflit que de loin, des rangers pleines de boue pour ceux qui passent leur temps dans le merdier créé par les premiers. En tout cas, Samuel Maoz a répondu à Miri Regev que c’était par amour et pour le protéger qu’il critiquait son pays, ajoutant que cette voiture qu’on enterre pour « effacer » la bavure était une métaphore d’un pays qui préfère enterrer la vérité plutôt que d’y faire face et de se poser les bonnes questions.
Samuel Maoz est un réalisateur qui tourne peu et on est en droit de le regretter. En effet, que ce soit "Lebanon" ou "Foxtrot", ses films s’avèrent tout à la fois très personnels, déroutants et d’une grande force. Dans "Foxtrot", Samuel Maoz se montre l’égal d’un Aki Kaurismäki dans son art consommé pour faire cohabiter le drame et le burlesque.On peut espérer que la polémique lancée par la Ministre de la culture israélienne et qui vient s’ajouter aux nombreuses récompenses obtenues à Venise et dans son propre pays va donner à ce film le coup de pouce lui permettant d’en faire un succès dans notre pays.