L’adaptation au cinéma d’un grand succès du théâtre contemporain est rarement un exercice facile, la meilleure preuve étant cette expression à caractère péjoratif qu’on entend souvent, même pour des films au scénario original : « c’est (ou dirait que c’est) du théâtre filmé ». « Le père » est une pièce de Florian Zeller qui a rencontré récemment un énorme succès, avec Robert Hirsch dans le rôle d’André, un vieil homme qui perd la boule du fait de ce qui ressemble fort à un Alzheimer et Isabelle Gélinas, puis Florence Pernel, dans le rôle d’Anne, sa fille, qui, avec beaucoup d’amour, prend grand soin de lui malgré les problèmes qu’il lui cause. C’est cette pièce que Philippe Le Guay a décidé de porter à l’écran, sur un scénario qu’il a écrit avec Jérôme Tonnerre. On retrouve bien sûr dans le film la peinture de la relation entre ce père et sa fille, ce père qui perd la mémoire tout en étalant, selon les moments, une nature avenante ou, au contraire, des formes de cruauté, pas forcément conscientes, envers son entourage et, tout particulièrement, envers sa fille. D’ailleurs, cette perte de la mémoire, qui n’affecte en rien les souvenirs de son passé lointain, n’est-elle pas une forme de défense face l’énorme choc qu’a été pour lui la mort accidentelle de sa fille Alice, survenue quelques années auparavant en Floride ? Pour cette adaptation au cinéma d’une pièce où avaient brillé de grands comédiens, le choix des interprètes des deux rôles principaux était d’une importance capitale mais aussi très difficile. En optant pour Jean Rochefort et Sandrine Kiberlain, Philippe Le Guay ne s’est pas trompé tant ces deux acteurs semblent fait pour endosser les personnalités de Claude et de Carole. Avec cet air à la fois badin et charmeur qui est sa marque de fabrique, Jean Rochefort n’a pas eu à se forcer pour se mettre dans la peau d’un vieil homme qui, d’une certaine façon, retourne en enfance avec tout ce que cela représente d‘espièglerie mais aussi de méchanceté candide. Face à lui, Sandrine Kiberlain est tout aussi magnifique dans le rôle de Carole : la sensibilité naturelle, le mélange de force et de fragilité qu’on a toujours sentis chez cette actrice lui permettent d’afficher toutes les facettes du personnage de Carole, cette fille qui aime son père et qui est coincée entre son désir de lui offrir une fin de vie qui soit la plus heureuse possible et celui de vivre sans entrave un amour naissant, une fille qui hésite entre le maintien de Claude à domicile et son placement dans une maison spécialisée, une fille, enfin, qui s’efforce de faire face sans broncher à la cruauté qu’on espère innocente de son père tout en se refusant à le mettre face à la vérité concernant le décès d’Alice.