Le résumé de « Floride » peut effrayer, j’en conviens. La maladie d’Alzheimer fait peur à beaucoup de gens, autant qu’elle cause du chagrin a tous ceux qui l’on côtoyé un jour. Et si on s’arrête à ce résumé, on se dit que le curieusement nommé « Floride » doit être un film larmoyant et déprimant. Sauf que c’est tout le contraire, il suffit de quelques minutes de bande annonce pour le comprendre. La maladie, omniprésente dans le scénario, a beau y être montrée sans fard et sans concessions, elle n’est pas l’objet de scènes déchirantes et déprimantes. Mais soyons franc, il y a quand même des moments difficiles dans « Floride », parce que cet homme bon vivant, très souvent drôle, polisson et à la répartie efficace traverse également des moments de dépression ou de colère : il se met subitement à insulter sa fille avec une méchanceté tellement injuste que, même en sachant que c’est la maladie qui parle et non le père de Carole, çà serre le cœur. Utilisant un montage intelligent, Le Guay nous fait entrer un peu à notre tour dans la tête de Claude : Flash-forwards récurrents, flash back incongrus, sauts surprise dans le temps, le réalisateur embrouille notre notion du temps pour mieux nous faire ressentir le désarroi de cet homme, jadis intelligent et vaillant, qui confond désormais les époques et traverse des immenses trous noirs temporels. C’est assez intelligent, comme démarche, et c’est efficace pour faire toucher du doigt au spectateur sain d’esprit que nous sommes le désarroi de cet homme si attachant qui se sent glisser inexorablement vers la folie sans rien pouvoir y changer. Philippe le Guay offre à Jean Rochefort un rôle à la mesure de son immense talent. Capable de polissonneries ou de réparties cinglantes (la maladie désinhibe terriblement !) mais aussi capable de basculer en quelques secondes et en quelques expressions du visage dans la détresse ou la colère. C’est surement difficile pour un acteur d’incarner des sauts d’humeur aussi déroutants que rapides, sans jamais trop en faire. Aux côtés de cet immense acteur, Anamaria Marinca interprète une aide ménagère dévouée et Laurent Lucas incarne le compagnon de Carole, plein de bonne volonté mais submergé par la difficulté de la situation. Ces deux personnages représentent, chacun à leur manière, les limites de l’empathie humaine face à cette maladie. De bonne volonté au début, ils vont tous les deux, de façon différente, céder devant la maladie. Leur réaction, « antipathique » sur le papier, est rendue dans « Floride » tout à fait crédible et compréhensible et même « pardonnable », Et je ne pense pas qu’il faille avoir côtoyé soi-même cette maladie pour le comprendre. Sandrine Kiberlain est parfaite (mais çà va devenir un pléonasme que d’écrire cela !) en fille courageuse et aimante, qui en prend plein la gu… mais qui tient bon. Au fil des années, au fil des rôles et des films, cette actrice française est en passe de devenir mine de rien, incontournable. En tous cas elle est en train de devenir une de mes actrices fétiches tellement je la trouve toujours juste. Quand on regardera la carrière de Kiberlain dans quelques années, on verra qu’elle ne se sera pas souvent trompée en choisissant un rôle et que, même dans les films moyens, elle aura toujours été impeccable. C’est le pendant féminin de son ancien compagnon Vincent Lindon, toujours justes, toujours dans les bons films, se bonifiant avec le temps… Le petit point faible de « Floride », c’est peut-être un scenario qui tourne un petit peu en rond au bout d’un moment. Il y a un petit peu de « suspens », grâce à des flash forward un peu intriguants qui se passent dans un avion. Mais à part çà, on ne doute pas une seconde de comment cela va finir pour Claude, d’ailleurs il n’y a pas d’autre issue, çà se saurait ! Et puis quelques soucis de crédibilité aussi pour le scénario de « Floride » : un homme dans la condition de Claude pourrait difficilement prendre seul un avion pour les USA (pas de visa), passer les contrôle de la douane américaine à Miami (pour qui sait ce que sont les contrôles de la douane US !), payer un taxi sans avoir changé ses euros contre des dollars alors que c’est sa fille qui gère légalement son argent, etc... Sa maladie aurait immédiatement alerté le personnel de l’avion, difficile de croire à cette escapade ! A moins que ce voyage ne soit qu’un délire de plus, provoqué par une maladie qui s’aggrave… Sur cette dernière partie, le scénario n’est pas très lisible mais c’est surement volontaire. Reste une belle dernière image, toute simple, toute délicate, qui met un point final à un bien beau film. « Floride » est un long métrage bourré d’humour et de tendresse, avec un casting trois étoiles et une réalisation bien maîtrisée. Malgré peut-être quelques longueurs et une fin un peu confuse, c’est un moment de cinéma délicat et intelligent.