A mes yeux, ce film de Florian Gallenberger à déjà une immense qualité : il existe. Il met enfin sur cette histoire terrifiante le coup de projecteur qu’elle méritait, ne serait-ce que par respect pour tous ceux qui y ont perdus la vie, et pour dénoncer ceux qui ont profité de cette secte abominable, et aussi ceux qui l’ont lâchement protégé. Florian Gallenberger a réussi son film, qui ne comporte aucune baisse de rythme, aucune scène superflue, ou malvenue, ou complaisante. Il sait montrer le torture, et il sait quand il faut baisser la caméra, il sait comment suggérer la pédophilie sans presque en rien montrer. En résumé, il livre une copie qui même si elle n’est pas exempte de petits défauts, tient très bien la route. On peut peut-être trouver que le film met un peu de temps à rentrer dans le vif du sujet mais quand on y est, on ne décroche pas jusqu’à la toute dernière image et on ne voit pas le temps passer. Assez peu de scènes d’actions, mais beaucoup de tension psychologique et une poignée de scènes glaçantes, comme par exemple la courte scène du funeste stade de Santiago. La musique n’est pas désagréable mais elle est un peu trop appuyée, un peu trop présente par moment et un peu trop forte. C’est un défaut récurent dans le cinéma d’aujourd’hui, et « Colonia » ne l’évite pas, malheureusement. Même si le film se déroule dans le sud du Chili (dans le dernier trimestre 1973, si j’ai bien suivi), c'est-à-dire au printemps et en été, la photographie du film est très « sombre », à l’image de la colonie. Peu de scènes sous un beau soleil et même quand c’est le cas, l’impression d’étouffement est toujours présente et ne nous lâche jamais. Les acteurs ont été choisi avec soin et rendent une copie impeccable, à commencer par Michael Nyqvist (aux antipodes de son rôle dans la trilogie suédoise « Millenium ») qui compose un Paul Schaefer sadique et exalté, enivré du pouvoir total qu’il a sur ses adeptes. Son passé nazi n’est jamais évoqué, mais il est perceptible dans chacun de ses regards. Daniel Brühl, dont on sait depuis longtemps qu’il est souvent dans les bons films, incarne avec justesse un rôle plus difficile qu’on pourrait le croire, sans en faire trop. Emma Watson, actrice pleine de talent et très engagée en plus d’être charmante, est parfaite et vole presque la vedette à Daniel Brühl, tant sa présence à l’écran est forte. Cela s’appelle le charisme, certaines actrices en ont et d’autres non, Emma Watson en a, indéniablement. C’est assez courageux de la part d’une actrice en pleine lumière de choisir des rôles difficiles dans des films difficiles alors qu’elle pourrait cabotiner et se remplir les poches dans des grosses productions, je le souligne. Le scénario de « Colonia » tient la route d’un point de vue cinématographique. D’un point de vue crédibilité historique, je ne sais pas si l’histoire de Daniel et Lena est plausible, mais comme on est dans une fiction et qu’il faut bien une histoire à raconter, autant que ce soit une histoire comme celle-là. Le film montre et dissèque le fonctionnement de la colonie dans ce qu’elle a de plus sectaire, et cela fait froid dans le dos. La religion y est omniprésente et écrasante mais c’est une religion de pacotille, elle fait penser aux télévangélistes exaltés américains. En réalité, la religion n’est qu’un prétexte, un alibi pour exercer un pouvoir total, sadique sur des esprits faibles ou manipulés. Paul Shaefer est un ancien nazi, et les nazis n’étaient pas religieux du tout, c’étaient au contraire des païens convaincus. Shaefer se sert de la religion pour recréer au pied des Andes son petit Reich à lui, avec tenues bavaroises, drapeaux allemands et prénoms allemands en prime. Sa pédophilie est clairement évoquée, mais de façon pudique et sans voyeurisme mal placé. Sa brutalité sadique n’est pas éludée du tout, pas plus que la manipulation dont il était capable pour instiller la peur au plus profond chez ses adeptes. Tout cela est très bien montré par « Colonia » et c’est glaçant. En revanche, le film n’éclaire pas beaucoup (je dirais plutôt, n’éclaire pas assez) l’autre aspect de la colonie : la collaboration avec le régime Pinochet. Crée en 1961 (donc bien avant le coup d’Etat), elle a joui d’une impunité totale et cela jusqu’à la fin de la Dictature. Elle a servi de chambre de torture, elle a fourni des armes (le film parle même d’armes chimiques), elle a aidé à la « disparition sans laisse de trace » de milliers d’opposants. « Colonia » l’évoque, bien sur, au travers de quelques scènes, mais on sent que c’est plus l’aspect sectaire de la Colonie qui intéresse le scénario, c’est un tout petit peu dommage. Mais il se rattrape sur la fin en montrant sans ambages comment l’ambassade de RFA couvrait honteusement les activités de l’ancien nazi (en 1973, je le rappelle) et même collaborait avec lui. Fallait il qu’en pleine guerre froide ils aient si peur des « rouges » pour se fourvoyer de la sorte ? Encore un petit bémol, la fin du film (qui m’a furieusement fait penser à la fin d’ « Argo », pour ceux qui l’ont vu) sonne un peu trop téléphonée, un peu trop « hollywoodienne » pour un film qui l’est par ailleurs si peu. Même si elle est un peu trop grosse pour être parfaitement crédible, elle fonctionne d’un point de vue suspens. Du coup, on pardonne à « Colonia » cette fin un poil too much, parce que pris dans sa globalité, c’est un film réussi, passionnant et instructif.