Pour son premier long métrage, l’acteur Bouli Lanners a clairement voulu bien faire et cela se sent dans la forme de son film. J’entends par là qu’en plus d’avoir bien soigné son casting (j’y reviendrai), il a aussi soigné ses plans, son image, sa photographie. Visuellement, les paysages et les hommes qui sont filmés sont austères, brumeux, souffreteux, un peu glauques, et grâce à plein de petites choses, il parvient à créer une ambiance particulière très rapidement. Le ciel (souvent filmé) est toujours plombé, couvert et déprimant, les plans larges de la Beauce sont visuellement recherchés, avec de longs panoramiques. Mais le film a beau se dérouler dans le Loiret, on a perpétuellement une impression de « Middle West » américain grâce à plein de détails : le nom même de Cochise déjà, et puis tout le monde se déplace en pick-up dans des immenses lignes droites, il y a des salles de billard avec de la musique country, des petits hôtels un peu miteux et des entrepôts déserts. Et puis la musique du film, discrète mais agréable, fait penser à celle de « Paris Texas » ! Du coup, « Les derniers, les premiers » à un petit gout de « Red neck » (surnom peu affectueux donné aux bouseux américains qui se baladent en marcel et en pick-up) inattendu et original. Le casting est emporté au premier plan par Albert Dupontel et Bouli Lanners lui-même. Dupontel en gros dur ombrageux, un rôle qu’il connait par cœur mais dans lequel il a l’intelligence de ne pas s’enfermer, Lanners en comparse tourmenté par sa santé défaillante. Les seconds rôles, et notamment les deux paumés (handicapés mental légers, ca devient vite une évidence) incarnés par David Murgia et Aurore Broutin sont assez incroyables de force et de sensibilité. Les scènes avec eux ne mettent pas forcément très à l’aise, surtout au début car on ne comprend pas bien à qui on a à faire et quel est leur but mais l’attachement qui les lient devient vite très touchant, même si on n’est pas sur de bien les cerner ! Et puis il y a aussi Michael Lonsdale, Lionel Abelanski, Suzanne Clément, Serge Riaboukine, bref, des « gueules » comme on dit au cinéma. En réalité, si le film de Bouli Lanners a une faiblesse, et elle est de taille, c’est son scénario. Honnêtement, même en gardant l’esprit le plus ouvert possible, on ne comprend pas tout, on est parfois a deux doigts de décrocher devant certaines scènes un peu étranges, on se demande de temps en temps « Mais enfin, il veut en venir où exactement avec son film ? » et ça, ce n’est pas très bon signe. Au-delà du côté un peu « western » de son scénario (les bons, les méchants, les simples d’esprits, les règlements de comptes, les traquenards, les gros calibres) qui n’est pas innitéressant, il y a une touche religieuse (annoncée par le titre du film lui-même) un peu étrange et qui m’a laissé un peu dubitative. Tous vont croiser un personnage un peu décalé, christique, qui apporter aux deux paumés une aide inattendue et improbable et qui va, à sa manière, punir les méchants. Ce personnage appelé Jésus ( ?), stigmatisé accidentellement à la main droite, est le vrai mystère du film à mes yeux. Je sens bien que Bouli Lanners a voulu dire quelque chose, en plongeant un personnage comme celui là au milieu d’une sombre affaire de vol et de règlements de comptes, mais son propos n’est pas très lisible. C’est exactement la même chose pour l’histoire annexe de ce marginal mort depuis plusieurs années et momifié que les deux comparses trouvent par hasard dans un squat et dont le sort travaille visiblement Gilou. Ca signifie quelque chose pour son personnage (peur de la mort, de la solitude) mais là encore, c’est un peu brumeux. Et puis il y a ce cerf, qui apparait dans deux scènes un peu incongrues et qui doit surement symboliser quelque chose aussi, mais quoi ? En fait, le scénario de « Les premiers, les derniers » est à l’image de la météo du Loiret dans le film : toujours couvert, brumeux, un poil déprimant aussi. Pourtant, l’histoire d’amour entre Esther et Willy, la fin plutôt optimiste du film, l’amitié sincère entre Gilou et Cochise, la présence permanente du petit chien Gibus et même quelques touches d’humour (un peu trop rares néanmoins) auraient pu alléger le film, mais on n’a l’impression au final que rien n’y fait, l’aspect déprimant et tortueux est le plus fort, couplé à une désagréable impression de ne pas toujours tout comprendre de ce qui se passe sur l’écran. Comme moi, beaucoup auront une impression de coquille vide au sortir de la salle, l’impression d’un film étrange qui les a un peu perdus en chemin. Il est évident qu’avec un film aussi peu lisible, aussi peu accessible au grand public, Bouli Lanners ne va pas remplir les salles. Mais il aura livré un premier film très personnel et très appliqué, ce qui laisse espérer que ce premier film ne sera pas le dernier !