S’il fallait évoquer la personnalité de Bouli Lanners, un mot viendrait de suite à l’esprit : protéiforme ! Voilà quelques années déjà que sa présence plane avec force sur le cinéma européen, en tant qu’acteur (il peut et a presque tout joué), réalisateur mais aussi en tant qu’homme (ses interviews sont toujours un sommet de franc parler dotées d’un humour bourru mais désopilant). Ce charisme tient à sa personnalité, à son indéniable charme, mais surtout à une qualité que tous revendiquent, mais dont peu dispose, le talent !
Avec « Les premiers, les derniers », il propose, tout autant qu’il impose, un genre cinématographique qui n’avait pas encore trouvé ses fondements, le film pré-apocalyptique ! De mémoire, on pense à « Take shelter », ou encore « Les fils de l’homme », mais qui se placent sur le dérèglement psychologique ou déjà au niveau du domaine de l’anticipation. Ici, nous sommes au crépuscule d’une civilisation au bord de l’implosion. Laquelle ? Elle n’est pas définie, même si évoquée. Sociétale (toute forme de vie « normale » semble avoir déserté les lieux), sociale (loi du talion avec ses «gangs », sécurisation à outrance), morale (plus de limites, pouvoir de l’argent…) ou encore spirituel (l’action semblant avoir pris le pas sur l’esprit)… on perçoit un monde moribond, à la limite du putride.
Cette fable acerbe sur la peur, sur nos peurs, sera pourtant révélatrice pour nos deux baroudeurs (Lanners et Dupontel sont géniaux !) d’une autre voie, plus sereine et quelque part pérenne. Ce microsome qui évolue dans cette zone de non droit, n’est pas sans rappeler la trame d’un western. La symbolique y est forte par son double sens, d’abord parabolique (ce que nous vivons actuellement) mais aussi reposant sur l’espoir (du chaos renaît toujours le meilleur). Ainsi, chacun y trouvera une espèce de rédemption, une clé pour avancer (vaincre la vieillesse, la cupidité, se ranger du côté de la vie…).
Bouli Lanners, par cette elliptique vision de ces deux affranchis du système, se fait visionnaire. Son extrapolation politique et sociale, repose autant sur la métaphysique (la réalité équivoque entre les protagonistes et leur environnement) que le mystique (qui se résume par le titre, mais aussi une présence christique ou celle des « innocents » qui seront les déclencheurs…). Il signe là un scénario incandescent et particulièrement intelligent.
Et lorsque l’on évoque la vision, elle ne passe pas uniquement par le seul pouvoir du récit et des mots. La mise en scène est acérée et vive, renforcée par un aspect visuel, jouant également sur une antinomie de plans, oscillant entre aubes et crépuscules (la photo, les cadrages et le découpage sont surprenants et très souvent jubilatoitres). Quant à la bande originale aux accents à la Ry Cooper, à ces décors naturels angoissants et le reste de la distribution (mention particulière à David Murgia, Michael Lonsdale et Suzanne Clément), ils ne font que renforcer subtilement l’habillage du film, contribuant à en faire une œuvre personnelle totalement aboutie, fascinante et profondément originale.