Avec son dernier film, Charlotte de Turckheim profite de l’accalmie, après l’hystérie réactionnaire des « manifestation pour tous » pour s’emparer, dans Qui c’est les plus fort ?, d’un sujet polémique, la gestation pour autrui. Mettant en avant une certaine intelligence du cœur, peignant des personnages attachants, ce plaidoyer n’en soulève pas moins quelques questions.
Samantha (Alice Pol), après la fermeture de son usine et un âpre combat syndical, se retrouve au chômage. Chargée de famille, elle élève sa petite sœur Kim (Anna Lemarchand que l’on a vu dans Papa ou maman) avec l’aide actif de Céline (Audrey Lamy que l’on a vu dans Le talent de mes amis et La belle et la bête), sa meilleure-amie et Dylan (Bruno Sanches), son voisin. Alors que les services sociaux menacent de placer sa sœur, une solution inattendue apparaît.
Si Qui c’est les plus fort ? tire son épingle du jeu, c’est certainement par un traitement dépassionné d’un sujet très compliqué, du moins au premier abord, et une véritable compassion à l’égard de l’ensemble de ses protagonistes. De Turckheim évite de se poser en donneuse de leçon sans toutefois se priver, en filigrane, de donner son avis. On peut s’interroger sur la finalité de l’argumentaire mais on ne pourra que comprendre les motivations des uns et des autres. Il faut dire, également, que la petite troupe d’acteur est très convaincante. Bruno Sanches que l’on avait trouvé touchant dans Le talent de mes amis, malgré les mauvais à priori que nous avions après son passage chez Catherine et Liliane, confirme une facilité certaine pour offrir un savant mélange entre émotion et comédie désabusée. Alice Pol, quant à elle joue aussi bien le fait d’être dépassé qu’une mélancolie sourde. Et chose incroyable, Audrey Lamy (est-ce le syndrome de Stockholm à force de la voir partout?) finit par nous être agréable, de plus en plus éloignée de son jeux à l’origine très cabotin. La jeune Anna Lemarchand ne fait pas pâle figure aux côtés de ses aînés. La réalisation de Qui c’est les plus fort ? reste assez conventionnelle. Charlotte de Turckheim n’a pas pour ambition d’utiliser de révolutionner les techniques narratives. La forme simple sied très bien au fond, De Turckeim inscrivant la vie difficile de ses héros sous le ciel sinistré de la région stéphanoise dont le folklore irrigue le film d’une manière étrangement mélancolique. On est pas d’un pays mais on est d’une ville, a dit le poète.
La grossesse pour autrui est un vaste sujet. D’une certaine manière, Qui c’est les plus fort ? tente d’en faire le tour sans porter de jugement. C’est très louable. Toutefois, l’excès de complaisance donne parfois l’impression (légère) qu’un parti pris est tout de même à l’œuvre. Chose, cela dit, que nous ne critiquerons jamais, nous qui pensons que le cinéma se doit d’être aussi politique. Qui c’est le plus fort est avant tout, un appel à la compréhension et à la tolérance. Par bien des aspects, le film rappelle le traitement de l’affaire par Christiane Taubira. A savoir, un mélange de fermeté devant la loi et de prise en compte des facteurs humains, pour une résolution avant tout humaniste et dans l’intérêt des enfants. La première chose que met en exergue Qui c’est les plus fort ?, c’est sûrement la démarche compliquée des parents homosexuels dont on ne peux nier le caractère profondément intime. S’il y a une chose que tout débat serein et bienveillant sur le sujet devrait éliminer d’avance, c’est bien de discuter de la légitimité des futurs parents. Nul enfant n’est à l’abri de tomber sur des parents irresponsables mais cela ne tient pas dans la composition du couple. Fort heureusement, c’est ce que choisi de faire De Turckheim en présentant un couple anglo-français, Paul (Grégory Fitoussi) et Gordon (Daniel Njo Lobé) tout à fait charmant et semble-t-il conscient de la lourde tâche qu’ils assignent à la mère porteuse. Seul bémol de ce côté-là, ils évoquent leurs expérience ratée en Ukraine avec une mère ayant gardée l’enfant. On passe trop vite sur cette aspect, pourtant essentiel, du problème dans Qui c’est le plus fort ?. Pourquoi sont-ils aller chercher une mère porteuse en Ukraine ? Quel peut bien être le terrible parcours de cette pauvre femme ?
Une fracture profonde est mise également sur le tapis entre deux types de grossesses pour autrui. La première nécessite que la mère porteuse soit inséminée par un ovule et des spermatozoïdes étrangers. Dans ce premier cas, elle n’est pas la mère biologique de l’enfant. C’est une technique utilisée par les couples hétérosexuels stériles. Le deuxième type est la fécondation de la mère porteuse par insémination d’un donneur. La femme inséminée est la mère biologique de l’enfant. Dans Qui c’est les plus fort ?, Samantha accepte l’idée car elle pense, dans un premier temps, avoir affaire à la première option. Le film distille l’idée qu’il serait (plus) facile pour Samantha de se séparer d’un enfant avec lequel elle n’a pas de lien héréditaire. C’est peut-être le seul point sur lequel nous trouvons le film sur la corde raide. Nous ne sommes pas sur que cela empêche la mère porteuse de s’attacher à l’enfant qui grandit dans son ventre. Il y a des interactions physiologiques et physiques au cour d’une grossesse qui dépasse l’abstraction intellectuelle que sont les liens du sang. De plus, Samantha est en plein dilemme moral et philosophique mais son choix final est finalement traité avec une légèreté un peu gênante à ce moment précis du récit. Qui c’est les plus fort ? faisant primer les bénéfices financiers sur les inconvénients probables à venir. Si la différence de classe est rapidement évoquée, Paul est l’avocat du patron qui a licencié Samantha, elle est vite passé au second plan.
Nous sommes bien au cœur d’une mécanique compliquée. S’il semble évident que la marchandisation des corps ne doivent pas être prise à la légère et que l’éthique la plus stricte semble la meilleure réponse, il s’agit toutefois, dans un monde où les législations et les points de vus diffèrent, de prendre en compte avant tout l’aspect humain de la question et de surtout ne jamais les réduire à des discours stériles, réactionnaires, sur le genre. Qui c’est les plus fort est un film beau et intelligent car il met, tentant de donner la parole à plusieurs tendances, le plus important en avant. A savoir que la filiation est avant tout une question d’amour avant d’être une question juridique.
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