Enfant de Mai 68, nombre de mes premiers émois cinématographiques ont été liés à ces utopies politiques, sociales, sexuelles, dont auteurs et spectateurs des années 70 étaient friands : entre "Sérieux comme le Plaisir" et "L'une chante, l'autre pas" - deux exemples qui me viennent à l'esprit mais ne sont sans doute pas les plus significatifs -, le cinéma cherchait vaillamment des issues individuelles ou collectives à un monde qui nous paraissait déjà bien corseté et bien triste. J'ai envie de placer "Comme un avion" dans cette filiation-là, plutôt que celle des films de la Nouvelle vague, de Jacques Rozier en particulier, parce que la première partie du film de Podalydès insiste sur l'aliénation absurde de nos vies : entre réalité virtuelle au boulot, et commandes sur Internet pour s'inventer un moyen de fuir, tablettes au lit avec son épouse, le héros paresseux et rêveur de "Comme Un Avion" vit piégé comme nous le sommes tous aujourd’hui dans un univers où l'infini des possibles (commerciaux, forcément) a annihilé toute opportunité de vivre ses rêves (même piloter un avion peut être offert comme cadeau d'anniversaire...). L'utopie se matérialisera ici comme un lieu ensoleillé où l’absinthe et le sexe, en fait le partage généreux du plaisir, emportent vite toute velléité de fuite, de voyage : un lieu de régression où l'on tourne beaucoup en rond, et où le combat politique des années 70 se réduit à une sorte de générosité bienveillante envers la folie des autres. Le bonheur que l'on ressent en regardant ces scènes en disent finalement plus sur nous-mêmes, sur notre propre désarroi, que sur le film, à la fois facilement critiquable pour son inscription dans une société aisée très "bobo", et parfaitement réussi. Le dernier plan de "Comme Un Avion" (sur une belle chanson, dure, de Bashung) m'a personnellement semblé terrible, avec ce retour à une normalité dont l'hypocrisie est maintenant dévoilée, et dont tout échappatoire a été désormais définitivement ridiculisé.