Ce n'est jamais facile de faire son premier film, mais ça l'est encore moins lorsqu'on s'attaque à un sujet courant que tout le monde connaît (enfin, disons plutôt « croit connaître »). Et quoi de plus banal que le monde du commerce et des vendeurs ? Et bien, contre tout attente, Sylvain Descloux évite tout préjugé contemporain en nous proposant de rentrer littéralement dans ce milieux finalement méconnu du grand public tel un investigateur secret à la recherche d'une vérité. Pour cela, il nous propose de suivre Serge, LE vendeur par excellence, LA « Rolls Royce» de la vente que tous les magasins s'arrachent pour qu'il donne des leçons sur son art si parfaitement maîtrisé : à lui seul, il incarne un retour sur investissement immédiat et spectaculaire ! Et d'ailleurs Descloux filme Serge au travail tel un artiste éblouissant à chaque nouvelle représentation : les séquences de vente sont brutes, avec un montage assez cut soutenu par une musique rythmée et entraînante...et oui, le spectateur est, comme le client, immédiatement sous le charme de cet irrésistible démagogue commercial et ne peut plus rien faire d'autres que d'écouter attentivement son discours et de boire ses paroles quasi religieusement. La vente est un combat acharné avec le client dont l'issue ne peut être que la victoire du vendeur (parfaitement illustré par cette incroyable scène d'ouverture où
un groupe d’hommes rassemblé dans une salle jure foi et soumission à leur cause tel des soldats se préparant à partir à la guerre
). Bien entendu, cette recherche totale de la vente nous est dépeinte de façon réaliste, ne nous épargnant pas de nous décrire le cynisme des techniques utilisées, qu'il s'agisse de celles des managers pour motiver leurs employés ou de celles des vendeurs pour « cueillir » les clients. Mais voilà, Descloux a l'intelligence de ne pas se contenter de ce constat cynique et grinçant : il veut nous prouver que pour arriver à un tel statut, Serge a dû sacrifier pas mal de choses. En effet, afin de combler cette soif insatiable de pouvoir et de réussite, Serge est un devenu un nomade qui écume routes et salons au volant de sa BMW, le privant cependant de toutes relations sociales avec les autres. Il a d'ailleurs divorcé et a un fils qu'il ne voit jamais. Pour oublier le naufrage affectif de sa vie, il dépense à foison son argent si facilement gagné en amusement, drogues et prostituées...et oui être le roi passe par quelques concessions. Et c'est par l'intermédiaire de son fils venu lui demander de l'aide pour devenir vendeur et d'une jeune prostituée candide et lucide qu'il va commencer à ouvrir les yeux sur le triste bilan de sa vie. L'électrochoc sera violent mais salvateur...Le film vaut aussi le coup d’œil pour les jolies prestations de ses acteurs : Gilbert Melki est magistral dans le rôle de cet homme au sommet de sa gloire dont l'attitude est à mi-chemin entre et le cowboy solitaire et le mafiosi ; à un tel point qu'il parvient à nous faire apprécier son personnage pourtant rebutant aux premiers abords vis-à-vis de son état d’esprit vomitif au possible. Pïo Marmaï continue à me surprendre et nous propose un jeune homme au charisme à la fois magnétique et mystérieux dont la frustration issue de son échec professionnel le pousse à devenir celui qu'il a toujours détesté (ou comment le poisson rouge se transforme en requin !). Et, même si sa présence est moindre à l'écran, n'oublions pas la mignonne Sara Giraudeau qui incarne avec une justesse inouïe cette jeune prostituée au regard enfantin et au corps d’adolescente mais dont l'extrême lucidité de leur situation (
« Un vendeur et une pute, c’est à peu près la même chose ! »
) va amener Serge a remettre en cause son train de vie pour commencer à accepter de vivre des moments de délices. Voilà, "Vendeur" se révèle être un premier film agréable et intéressant malgré son sujet de base pourtant peu attractif (les zones industrielles et les magasins de cuisine). De façon assez inattendue, Sylvain Descloux nous offre un portrait plutôt acide d'une profession jouant sur les apparences doublée d'une intéressante réflexion sur le choix de vie, la place des interactions sociales et plus particulièrement sur la relation père/fils au sein d'un monde où le pouvoir et le fric passent bien avant les valeurs humaines. Crédible, pudique et efficace, servi par un casting de talent, "Vendeur" est la preuve vivante que le cinéma français peut encore raconter des choses et nous séduire.