Eddie Moreau n'est pas du genre heureux. Il traîne sa vie, au milieu des rues, l'œil chargé, à la recherche d'un boulot, et sans doute d'un verre ou deux d'alcool. Il a un enfant, qu'il éduque maladroitement, ce qui le rend profondément touchant. Et très vite dans le film, on se rend compte qu'il a ses casseroles, et que, finalement, cette histoire de violence qu'il subit, n'est pas vraiment un hasard dans son existence. "Je ne suis pas un salaud" n'est pas un énième film policier. C'est un drame psychologique, ancré dans l'ordinaire des vies désolantes, celles des gens sans travail, mis à l'écart du monde, qui composent comme ils peuvent, à la lumière de ce dont ils ont été dotés par l'existence. Bien sûr, Emmanuel Finkiel nourrit son long-métrage d'une réflexion plus large sur la société contemporaine, et des exclus qu'elle draine chaque jour. Ce qui intéresse le réalisateur, c'est son personnage central, ce Eddy. La caméra le capte au plus près de la peau, des yeux. Elle guette un plissement de la lèvre, comme s'il était à tout instant au bord du vide, prêt à défaillir. Ce Eddy est perdu, et en accusant ce jeune homme maghrébin d'une agression qu'il n'a pas commise a priori, il s'enfonce inexorablement dans sa propre perte . Nicolas Duvauchelle incarne avec brio ce père de famille triste et attachant. Tout, dans les gestes, dans la voix, résonne au plus profond de ce personnage, comme s'il l'avait toujours habité. Il forme avec Mélanie Laurent un couple à fleur de désespérance. Véritablement, au-delà de la prestation des acteurs, le film est magistralement mené. La musique électronique accompagne cette descente aux enfers d'un homme à la dérive, accentuant la tension perceptible dès les premières images. La photographie joue avec les reflets de fenêtres, les devantures d'immeubles, comme si elle singeait à elle seule le ventre de ses personnages. Bref, "Je ne suis pas un salaud" est un film irradiant, une sorte de descente dans l'enfer ces gens désespérés, qui pourraient être nous.