21 Nuits avec Pattie ou le croisement entre Alice au pays des merveilles et Gargantua. ♥♥♥
Présent dans leurs films Les derniers jours du monde et L’amour est un crime parfait, le fantastique refait surface dans la dernière offrande de Jean-Marie et Arnaud Larrieu, 21 Nuits avec Pattie. Caroline (douce et réservée Isabelle Carré) vient de perdre sa mère, une grande voyageuse, avec qui elle entretenait une relation sans réelles affinités. Fraîchement débarquée de Paris dans le village du sud de la France où résidait la défunte, elle y fera la connaissance de toute une tripotée de personnages, plus pittoresques les uns que les autres, en commençant par Pattie (truculente Karin Viard), femme de ménage à la parole grivoise et frivole. Les récits sexuels anecdotiques de Pattie secoueront alors chez la Parisienne un désir endormi qu’elle tentera de raviver au moment même où le corps de sa mère disparaît.
21 nuits avec pattie1Pour les frères Larrieu, cette dernière réalisation (voir entrevue avec Jean Marie) est avant tout l’histoire d’une rencontre improbable entre Rabelais et Lewis Carroll. Cette analogie entre d’une part le libre penseur bon vivant et l’écrivain à l’univers fantasmagorique de l’autre nous apparaît intelligible et moins absconse une fois le film visionné. En effet, les habitants du village ressemblent à une communauté hippie qui n’aurait pas décroché des années 60, se baignant cul nul dans la piscine, où tout problème trouve sa solution dans la débauche. Difficile alors de ne pas rire du libertinage auquel s’adonnent les villageois ou des situations cocasses (le gendarme en costume de bain). Pour contrebalancer cette franche camaraderie entre les personnages, les réalisateurs utilisent le cadre bucolique de ce coin perdu de France afin de révéler des vérités cachées sur leur nature profonde. Ils ancrent alors le mystique dans la réalité du quotidien. Quand Caroline emprunte le chemin pour rejoindre la maison de sa mère, il n’en finit pas de descendre allant jusqu’à pénétrer un autre monde : un monde pleins de champignons de formes phalliques, un monde où l’on s’endort dans des forêts à l’onirisme enchanteur, un monde où Caroline devient une mimesis d’Alice.
Actrice habituée au cinéma insolite et fantaisiste des deux réalisateurs, Karin Viard se voit offrir des monologues pimentés par des connotations sexuelles plus qu’éloquentes, qui finiront, à coup sûr, par devenir des moments d’anthologie (« Les nécrophiles sont des romantiques »). C’est un personnage haut en couleur, qui parle comme il respire, sans vergogne, et avec une spontanéité à faire rougir un curé de province. Les autres acteurs ne sont pas en reste, à commencer par André Dussollier qui incarne un mystérieux écrivain ami de la famille, semblable à son rôle de Bélisaire Beresford dans les adaptations cinématographiques d’Agatha Christie, pour l’absurde et la théâtralité du jeu. Isabelle Carré est quant à elle parfaite en quarantenaire asexuelle qui redécouvre les plaisirs charnels.
Les frères Larrieu ont bien compris que dans la comédie les duos gagnants sont souvent des personnages que tout oppose. Par conséquent, rien de surprenant à ce que la fraîcheur des propos de Pattie, face aux moues gênées de Caroline, s’équilibrent parfaitement. S’il est vrai qu’à première vue le ton du film peu dérouter, l’humour savamment distillé, mêlé au fantasque des situations, permet des pauses au milieu de réflexions sur le deuil, la séparation du corps et de l’âme ou encore la perte du désir. En somme, une comédie loufoque, drôle et inquiétante.