Quel est ce bruit étrange, venu de nulle part, qui traverse la cité HLM ? Pour l'infirmière, c'est un cri d'enfant ; pour le jeune-homme à la recherche de sa mère à travers l'actrice Jeanne Meyer, c'est un tigre du Bengale. Tout le monde y va de son interprétation dans cet univers à la fois pesant et léger d'un immeuble en désuétude. L'ascenseur est en panne et le seul locataire à refuser de payer, c'est Sternkowtiz, parce qu'il habite le premier étage, mais manque de chance, il tombe handicapé. Benchetrit nous emmène dans un monde austère, que la photographie d'un bleu justement asphalte renforce, traversé d'une ribambelle de personnages, tous aussi attachants que désarmants. Il se passe toute une série d'évènements absurdes et improbables, comme l'atterrissage par erreur d'un astronaute américain sur le toit de l'immeuble, le recueil du même astronaute par une vieille dame d'origine algérienne qui confectionne café et couscous avec amour, ou l'installation d'une actrice connue dans un appartement glauque. Et pourtant, aussi incroyables soient les personnages ou les évènements, le réalisateur parvient à faire de ce récit à plusieurs voies, un petit ovni cinématographique, et totalement vraisemblable. En fait, à travers ces gens de rien, le cinéaste va droit au cœur. Il regarde ses personnages souffrir en silence, se reconstruire lentement dans la rencontre, et peut-être même réapprendre à aimer. Il allie avec subtilité l'humour, le sérieux et l'autodérision, particulièrement dans la reconstitution de films à dormir, comme un clin d'œil au cinéma parfois trop intellectuel de la nouvelle vague. Les acteurs sont tous justes, et la caméra réussit à saisir dans les regards, la profondeur de l'âme humaine. "Asphalte" est un film qui décoiffe. Il fait du bien, à la manière d'une pastille au miel, dont on sait finalement le peu de vertu thérapeutique, mais dont le goût reste longtemps dans la bouche.