« Les innocentes » met en lumière un fait historique passé sous silence et peu connu dans nos régions occidentales. En effet, durant la deuxième guerre mondiale, des militaires russes ont envahi un couvent polonais et ont maltraité les religieuses qui l’habitaient. Les séquelles, traumatisantes, ont eu de lourdes conséquences et quelques mois plus tard, des nouveaux nés étaient là pour rappeler les faits insupportables du passé.
Glaçant, le sujet ne peut qu’interpeller, tant au niveau de la cruauté humaine dont les sœurs ont été les victimes qu’au niveau de leur foi. Ont-elles pu pardonner ? Leur croyance envers un Dieu amour n’a-t-elle pas été ébranlée ? Comment accueillir des nourrissons dans un lieu où la chasteté est prêchée ? Ce sont autant de questions et de réponses qui sont abordées dans ces presque deux heures de film... dont on sortira forcément marqué.
La toute jeune comédienne Lou de Laâge est remarquable. Malgré quelques inconstances dans son jeu, elle porte le film avec beaucoup de courage et sait se montrer à la fois compréhensive et distante face à une situation difficile à vivre. Elle est le lien entre la médecine et la vie religieuse et elle peinera à recueillir la confiance de ces sœurs abusées et apeurées à l’idée d’être damnée pour avoir été engrossée. Dans ce monde de femmes où la solidarité est relative, les tabous sont nombreux et la pudeur exacerbée. La mission de « sauvetage » du personnage de Mathilde Beaulieu n’en sera que plus compliquée mais Lou de Laâge parvient à se l’accaparer et à la dépasser. Plus le film avance et plus la comédienne prend de l’assurance dans son rôle : touchante, fragile mais forte à la fois, elle assure et le fera jusqu’aux dernières minutes du film.
Autour d’elle, une multitude de comédiennes, les plus considérables les unes que les autres. Qu’elles s’expriment en polonais ou en français hésitant, elles parviennent à nous faire croire que cette histoire est la leur et nous confient leurs sentiments les plus forts dans une prestation plus vraie que nature. Ces femmes, ce sont, entre autres, Agata Kulesza, la bluffante Agata Buzek, Joanna Kulig, Eliza Rycembel, la touchante Anna Prochniak, Helena Sujecka ou encore Katarzyna Dabrowska.
Mais dans ce monde de femmes et de guerre, on trouve aussi deux hommes : le docteur Samuel Lehman (Vincent Macaigne) et le colonel Poix (Pascal Elso).
Samuel, jeune médecin de guerre, est aussi le collègue et l’ami de Mathilde. Lorsqu’ils ne se retrouvent pas autour d’une table d’opération, c’est autour d’une bouteille de vodka qu’ils partagent un peu de gaieté. Car leur quotidien est loin d’être facile et celui de Mathilde l’est encore moins depuis qu’elle a entrepris d’aider les sœurs à accoucher de leur bébé… dans le plus grand secret, au risque de voir le couvent démantelé.
Des femmes au service d’une histoire incroyable et méconnue, dans un décor impressionnant où le silence est tantôt rassurant, tantôt pensant c’est sans doute ce qui résumera le mieux le sentiment qui nous habite à la sortie de la projection. On s’immerge dans une époque pas si lointaine et dans des lieux de désolation, on côtoie la misère humaine et les troubles de la foi, bref, on est l’espace d’un instant dans la campagne polonaise de 1945, neigeuse, froide, hostile. Si le film souffre de quelques lenteurs, on comprend que cette prise de temps est indispensable pour ressentir véritablement le fond des choses. O
n est néanmoins content de sortir par moment la tête de l’eau et de retrouver un peu de chaleur en l’histoire personnelle de Mathilde et Samuel.
L’équilibre entre les deux univers de chahut de la Croix rouge française et le calme du couvent est d’ailleurs presque parfait.
Anne Fontaine nous a déjà entraînée dans de nombreux univers et nous réserve sans cesse de belles surprises. Que ce soit avec « Coco avant Chanel », « Gemma Bovary », « Mon pire cauchemar » ou encore avec « Entre ses mains », elle propose tantôt un cinéma ludique, tantôt un cinéma réflexif et çà marche à tous les coups. Ici encore, elle signe un très joli film, basé sur des faits réels, et non contente de nous cultiver en soulevant un pan de l’Histoire polonaise, elle nous fait découvrir des comédiens de choix dans un contexte peu évident.