Il manque sans doute à Manos Sucias bien des attributs pour prétendre au titre du polar indépendant de l’année. Pour autant, le film de Josef Wladyka, jeune cinéaste d’origines japonaises et polonaises, faire montre d’une immersion et d’une fluidité tout-à-fait remarquable. Petit périple sensiblement corrosif, deux jeunes hommes défavorisés se faisant les passeurs d’une centaine de kilos de cocaïne le long de la côte pacifique colombienne, Manos Sucias n’est somme toute qu’un témoignage instantané de l’instrumentalisation de la misère par El Narco, une démonstration comme il pourrait y en avoir tant d’autres de la mise en abime de toutes les valeurs morales, humaines, au profit du gain financier. L’argent facile corrompt violemment, maintenant depuis des années, l’Amérique latine. Le trafic de narcotiques, souvent sous forme de convoyage par les déshérités, main d’œuvre servile, marque définitivement la rupture sociale entre les classes. Ici, les servants sont afro-colombiens, ils vivent dans les bidonvilles de Buenaventura et serviront l’intérêt du trafiquant, qu’importe les épreuves.
Spike Lee, cinéaste aux positions bien tranchées, parfois discutables, produit ce petit morceau d’exotisme, critique sociale avant toute chose. En effet, avant d’être un polar tendu, le film est avant tout une peinture des maux d’une société soumise à l’austérité et à la mainmise de la criminalité sur la jeunesse. Sans s’épancher sur le sujet, l’immersion optimale permet aisément de comprendre les enjeux sociaux et moraux. Les acteurs sont naturels, impeccable de justesse, la bande sonore est d’une authenticité bienvenue et les décors, à 100% naturels, sont somptueusement intégré au récit, à l’image de ce passage sur des voies ferrés désaffectées ou le système D permet une utilisation rationnelle de l’infrastructure. Il s’agit donc d’une plongée étouffante dans les terres de la côte colombienne, maquillée en polar, suffisamment équivoque sur le plan social, pour satisfaire tout un chacun.
Reste que cela, aussi bon soit-il, ne suffit pas pour nous convaincre du talent de son metteur en scène. Si Josef Wladyka livre parfois de très beaux plans, il n’en reste pas moins, pour l’occasion, un cinéaste qui se cherche, ne basculant pas dans l’excès, ne se concentrant pas non plus pour autant dans le documentarisme zélé. Le jeune réalisateur fait le boulot, le fait bien, mais livre un produit qu’il est difficile de définir autrement qu’un simple essai fructueux. On salue au moins la démarche et nous réjouissons de découvrir à nouveau un tel film, mais avec l’élargissement nécessaire du concept. 13/20