Cinéaste rare, adepte d’une certaine idée du classicisme à la façon d’un James Gray, éminemment new-yorkais et issu du monde du théâtre, Kenneth Lonergan avait connu bien des déboires avec son précédent Long, ‘Margaret’, relégué pendant cinq ans aux oubliettes en raison d’un conflit sur le Final Cut, et sauvé de l’oubli par quelques amis acteurs et cinéastes, qui se débrouillèrent pour faire sortir ce beau film en salles au forceps, mais malheureusement dans un relatif anonymat. Le succès critique unanime de ‘Manchester by the sea’ est donc une forme de revanche pour Lonergan, qui trouve matière à révéler qu’il fait bien partie des Auteurs qui comptent (encore) au sein du cinéma américain. Manchester by the sea, c’est la ville natale des Chandler, une famille de la classe ouvrière du Massachusetts : après le décès soudain de son frère, Lee Chandler découvre qu’il a été désigné comme tuteur légal du fils adolescent de ce dernier, Patrick. L’enjeu principal de l’histoire est de savoir ce qui pousse cet homme taciturne, qui semble hanté par le passé et déterminé à l’expier de la manière la plus douloureuse qui soit, à refuser d’endosser cette responsabilité. L’explication sera apportée vers la moitié du film, entraînant un relatif fléchissement de sa force narrative et émotionnelle, puisqu’il s’agit alors de laisser le récit dériver sereinement vers une conclusion qu’on devine apaisée...mais même cette dernière section s’avère magnifique par la précision de sa mise en scène et l’implication totale de ses protagonistes. Le lent dépérissement des petites cités provinciales de l’est, le quotidien difficile des humbles dans l’Amérique d’aujourd’hui, sont évidemment évoqués, mais en filigrane, suggérés plus qu’ils ne sont exposés ou dénoncés, tout en restant indissociables de l’essence même du film...car ‘Manchester by the sea’ n’est pas une peinture sociale (ou alors, elle l’est à son corps défendant). Les actes, les silences, les souvenirs et les non-dits ébauchent peu à peu le fonctionnement du système vivant qu’est cette famille élargie : Oui, il s’agit bien d’un mélodrame familial, au sens le plus strict mais aussi le plus noble du terme, qui ne cherche jamais à tirer les larmes gratuitement et ne se retranche pas non plus derrière des poses auteurisantes ombrageuses, faute de pouvoir exprimer, clairement mais sans trop appuyer sur le curseur, les émotions et les dilemmes des Chandler. D’une précision sans failles, considérant la banalité ou même les traits d’humour comme faisant partie intégrante de la vie, même dans ses passages les plus douloureux, et promoteur de cinéma qui trouve l’exact équilibre entre reproduction scrupuleuse de la réalité et sens du romanesque, Lonergan signe ce qu’on définira sans peine comme un des films les plus “justes� et “vrais� de l’année 2016. Un dernier mot sur la casting, sans qui toute cette belle mécanique aurait tourné à vide : du plus petit rôle au plus grand, tous donnent le maximum qu’on est en droit d’attendre d’acteurs, expérimentés ou pas, sans la moindre fausse note, et il devient de plus en plus anormal que ce ne soit pas Casey, surhumain dans l’air d’en révéler beaucoup avec un jeu minimal, qui attire l’attention médiatique sur lui parmi les frères Affleck.