Il serait bon de savoir si les distributeurs sont purement inconscients, ou dotés d’un humour très particulier ou enfin, s’ils n’ont simplement pas eu d’autres choix que de sortir "Manchester by The Sea" pour les fêtes de fin d’année ?!
Sur le papier, ce film ne donne vraiment pas envie d’autant plus que la plupart des gens sont un brin déprimés en fin d’année et ne souhaitent pas s’en infliger plus, surtout durant 2 heures...
Autant le dire tout de suite, vous pouvez vous faire un cadeau inattendu en allant voir ce petit bijou qui sauve le niveau des sorties de fin d’année.
Première grosse surprise, ce drame qui sait rester très pudique et qui est limite glacial comme la mer en hiver, ne joue pas avec les codes et les ficelles du genre et nous prend souvent à contrepied. Le scénario suggère plus qu’il ne montre et les flashbacks distillés au compte-goutte, à des moments inattendus, nous tiennent en haleine au point de souhaiter comprendre et de voir les différents drames qui habitent cette famille et surtout ceux qui concernent le personnage principal.
Vient alors la seconde surprise : si tous les personnages sont joués à merveille (mention spéciale pour Michelle Williams), on ne peut qu’être impressionné par la partition d’un Casey Affleck au sommet de son art. Voici enfin un rôle à la mesure de son talent, le plus petit des Affleck porte ce film de façon magistrale !
Si la mise en place et le rythme général sont lents, on se laisse conduire comme par flottement sur un petit bateau en mer en se faisant parfois happer par une houle violente, sans jamais chavirer mais en étant tout de même secoué fortement et en étant totalement bouleversé au final. Cette lenteur n’est jamais ennuyeuse et nous permet de mieux appréhender la douleur et le châtiment que Lee s’inflige.
Le spectateur est alors un témoin privilégié de l’intimité de cette famille de pêcheurs. Il peut alors apprécier la peinture sociale du tableau d’une Amérique profonde qui fonctionne encore avec les codes virils des fondateurs. Le pinceau est précis et s’avère juste, sans effets inutiles avec une belle palette de couleurs émotionnelles. Rarement névrose familiale aura été protée à l’écran avec autant d’exactitude et de minimalisme, ces hommes ne doivent rien montrer s’ils veulent être considérés comme de vrais hommes et c’est à eux de s’accommoder du reste, de faire leur deuil comme ils peuvent et de continuer à avancer malgré tout, d’une façon ou d’une autre.
Le réalisateur, Kenneth Lonergan, fait confiance à la lecture du spectateur et donc à son intelligence pour qu’il attende de comprendre, pour remplir les cases vides et pour ressentir de l’empathie pour ce fantôme au mutisme qui, de prime abord, peut sembler repoussant.
De par une construction alambiquée, le film propose de superbes scènes, parfois foudroyantes, dans un flot d’errements quasi monotone (mention spéciale pour la scène dans le commissariat). Le tout est mis en scène avec un grand talent et embelli par une photographie intime à la lumière naturelle qui parachève cet édifice jamais ostensible et pourtant d’une force exceptionnelle. Dernière surprise : la musique classique qui est parfaitement utilisée et loin des caricatures habituelles.
Voilà une perle rare dans les productions actuelles, un drame déchirant qui marque longtemps après la sortie de la salle et qui, presque étrangement, insuffle un élan positif dans nos propres vies sans nous faire l’écueil d’un happy ending.