Rien de tel pour détruire l'appréciation d'un film que trop d'éloges avant de le voir. Je dis toujours que les "gros" films, il faut les voir vite, dès qu'ils sortent. Surtout après cette période de fin d'année, la périodes des films hype, le dernier stretch avant les Oscars où l'on peut s'attendre à des sorties de films primés en festivals, avec de grands messages et des émotions qui vous emportent, livrés avec des affiches où s'étalent des critiques cinq étoiles et des qualificatifs du style «chef-d'œuvre». Surtout si on ne l'a pas vu assez vite après sa sortie et que tout le monde vous a monté la tête avec. C'est mon cas pour Manchester-by-the-Sea.
En plus, une tragédie humaine qui se passe à la maison dans un bled avec des personnes que vous croisez au supermarché a intérêt de se sortir la magie du cul pour vous mettre un claque sinon c'est la chute de très haut. Plus haut que si vous l'aviez vu le jour de sa sortie. Car chaque jour qui passe sans voir le film, il grossit et c'est vous même qui commencez à vous en faire toute un plat. Il a intérêt à être bon ce film avec des gens ordinaires. Même si c'est un soi-disant chef-d'œuvre.
Je n'ai pas envie d'expliquer que Lonergan (le réalisateur) est un excellent scénariste et auteur de théâtre qui a pondu des choses superbes (avec quelques ratés) dont certains resteront des bijoux du cinéma, mais son casting est aussi simple et à sa place qu'un homard dans une assiette de la Nouvelle Angleterre. Les acteurs tous tellement justes dans leurs jeu et leurs personnages qu'ils n'ont même pas l'air d'essayer. Même les cameos les plus connus vous passent presque sous le nez tellement ils se fondent dans la froideur hivernale du village. On peine à croire que ce ne sont pas de vrais habitants de la ville de Manchester-by-the-Sea, surtout Lucas Hedges dans le rôle du neveu de Casey Affleck, un ado qui a deux copines, une équipe de hockey, un groupe de rock vraiment nul (Les "Stentorian"), et aucune patience avec son oncle vide et chiant.
La carrière du réalisateur Kenneth Lonergan se concentre beaucoup autour des accidents mortels. "Tu peux compter sur moi" (You Can Count on Me) qui a fait des stars de Laura Linney et Mark Ruffalo se passait autour d'un accident de voiture, "Margaret" avec Anna Paquin, encore Mark Ruffalo, et Jean Reno (à voir en DVD dans sa version director's cut de je crois plus de deux heures et demie et non pas la version boucherie au montage des studios hollywoodiens qui ont mis 6 ans à le sortir) s'agissait cette fois d'un accident d'autobus, puis maintenant Manchester-by-the-Sea - qui vient rejoindre ces deux chefs-d'œuvre précités - où c'est toute une vie qui s'effondre en cendres.
Nous avons tous vu trop de films dans lesquels une âme perdue sort un jour de sa coquille pour enfin rejoindre la race humaine, renouant avec ses émotions au contact d'un enfant hérité d'un parent décédé. Ce qui intéressera tout le monde en revanche, c'est qu'on est enfin beaucoup plus intéressés par la façon dont tout cela pourrait se jouer si l'âme perdue en question était vraiment juste trop perdue et damnée pour s'en sortir. Le personnage de Lee Chandler que Casey Affleck nous offre est tendre, distant et sardonique, et me rappelle (et peut-être à vous aussi) des amis d'enfance qui ont perdu leur chemin et qui ne sont jamais revenus.
Et ne vous laissez pas débiner par le côté dramatique du film. La tristesse de Manchester-by-the-Sea est le genre de tristesse qui vous fait vous sentir plus vivant, plutôt que déprimé, et plus attentif à la préciosité des choses.
Et surtout oubliez tout ce que j'ai dit. Rappelez-vous simplement que vous avez entendu quelque part que ce film est une expérience qui vaut la peine, non pour la profondeur de son impact ni la grandeur de son discours, mais pour la façon dont il illumine avec une sorte de grâce silencieuse et inébranlable comment vous et moi (et nos voisins) arrivons à s'en