[Spoilers] Coïncidemment, j’ai vu Saturno Contro (Ferzan Özpetek, 2007) la veille de voir In The Fade. Les deux furent réalisés par un réalisateur turc à l’étranger. Les deux ont le deuil pour thème central, mais le premier le fait mal, l’autre bien.
Akın est direct. Cela le protège du commentaire que je formule souvent à l’égard de films dénonciateurs, comme quoi ils oublient souvent leur moelle au profit de l’immaculé extérieur. Akın est 100% moelle. Il continue dans son habitude de garder au moins un acteur de sa collaboration précédente en la personne d’Adam Bousdoukos, qui a joué dans Soul Kitchen (2009) et son traitement sombre pour un thème clair ; In The Fade, c’est l’inverse : un thème atroce mais un traitement qui appuie à fond sur le sentiment et peu sur la mécanique scriptique. Il y a du Gone Girl quoique c’est, ici, les autres qui partent.
Diane Kruger y trouve son second rôle germanophone et une Palme cent fois méritée pour la douleur qu’elle porte seule. C’est elle qui vit le deuil de son mari et de son fils après une attaque terroriste. Elle est statique comme un pilier alors même que la photographie malmène l’image au gré des chapitres. Les mouvements sont partout.
Au tribunal, la multiplication des angles de vue est si folle qu’elle passe pour m’as-tu-vu, mais les travellings ne vont pas d’un personnage à un autre : ils vont d’une âme à une autre. C’est la mouvance de l’esprit tandis que la mise au point est celle de l’objet. Je m’invente peut-être l’analyse, mais il est curieux que le moment le plus fort du film, la désillusion, emploie un travelling contrarié qui combine justement les deux comme pour mieux figurer l’écroulement.
Et puis il y a les notes qui se marquent sur les calepins et les plaidoiries qui s’égrènent. Des cascades d’éloquence formidables plantées droit comme le I sans point d’Akın dans les rôles d’avocat par Denis Moschitto et Johannes Krisch (c’est le nouveau Kinski, ce gars !). Dommage, la justice n’est pas développée et l’on reste un peu coincé entre des promesses commerciales de résultats fabuleux et la suprématie froide d’un juge qu’on ne verra que de loin. Peut-être le réalisateur était-il trop occupé à soigner des inserts attentionnés au service de la clarté générale, ces plans en 2D qui, de temps à autre, montrent et déshumanisent à la fois les coupables.
Quand l’utilité des moyens mis en œuvre met le doute, on peut toujours se reposer sur la garantie qu’Akın est un cinématographe hors-pair. Je repense à cette longue scène, en Grèce, ou Kruger achète un objet bénin (si bénin que je le tais, moins par pudeur que par crainte de tout casser) et que le caméraman la suit tout le temps de son entrée dans le magasin et de son échange silencieux avec le vendeur – parce qu’elle téléphone et ne parle pas grec de toute manière. Ce long plan filé contient toute l’humanité dont Akın est capable et résume à lui seul qu’il mérite son Golden Globe.
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