Park Chan-wook aurait dû se faire connaître en France par l’un de ses premiers films, « Joint Security Area » (Gongdong gyeongbi guyeok), mais ce film n’est malheureusement pas sorti en salle, la Berlinale étant un festival sympathique mais pas d’un grand secours pour une sortie commerciale. Du coup, à la grande époque du DVD, c’est dans ce format qu’il a été distribué. Et puis, moins intéressant que JSA, « Sympathy For Mister Vengeance » est sorti en salle sans être remarqué. Je crois qu’il lui manquait la foi. C’est « Old Boy » qui a fait de Park le metteur en scène chouchou du public à partir de 2004, tout dans ce film concourant à sa popularité : scénario puissant, acteurs fascinants, mise en scène brillantissime... Choi Min-sik était déjà connu du public, qui l’avait découvert dans l’un des grands champions du cinéma coréen en France, « Ivre de Femmes et de Peinture » du réalisateur Im Kwon-taek. Park, un temps, fut le maître de la vengeance à la coréenne. Je pense qu’on a fait mieux depuis. Mais le voilà de retour avec une œuvre somptueuse qui lui permet d’ajouter une corde à son arc, celle du film d’époque. Il y apporte son goût de la folie, celui aussi des faux semblants, en n’oubliant ni la beauté, ni la perversion, ni la violence. Il évoque la relation nippo-coréenne dans des termes qui nous sont accessibles, malgré notre méconnaissance de ces liens complexes, présentant le rapport de force entre les deux pays comme celui que nous fantasmons depuis la vieille Europe, nous qui avons l’intuition d’un Japon aristocratique et dominant tenant l’Asie pour sa vassale, au moins dans son voisinage. Pour représenter la fourberie et l’arnaque, Park est allé chercher le fabuleux Ha Jung-woo, l’antihéros de Na Hong-jin dans « The Chaser » et « The Yellow Sea », idéal pour incarner malice et convoitise. La demoiselle, sublime de beauté, non pas japonaise, mais bel et bien coréenne (l’actrice), est interprétée par Kim Min-hee, vue uniquement dans « Un jour avec, un jour sans » de Hong Sang-soo. « Mademoiselle » est un vrai régal, parce qu’il trompe et s’amuse avec le public et avec les personnages, parce qu’il égrène les secrets, les surprises, les révélations tout au long du récit, parce que sa mise en scène est somptueuse, soucieuse d’offrir un spectacle enchanteur, parce que son érotisme est redoutable d’intensité... On est spectateur d’un drame sans entrer totalement en empathie avec ces personnages tortueux, mais en jouissant des revers de fortune et en se réjouissant d’un dénouement qui privilégie la vie et le plaisir. À ne pas manquer.