Je ne suis pas sûre d'être capable d'objectivité devant Park Chan-Wook. Old Boy a été le plus grand thriller de tous les temps, un point c'est tout!
Là, nous sommes quand même très loin de l'univers de Mr Vengeance, ou de Lady Vengeance -cette vengeance qui est également au coeur de Old Boy- même si..... Là, le réalisateur flirte avec le porno glam, louche vers un Oshima qui serait aussi un romantique (oui, le film est très romantique) et surtout nous met la tête à l'envers.
Je pense que l'on profiterait mieux de certaines subtilités du film si on connaissait un peu plus les relations entre la Corée et le Japon. Le "protectorat" -c'est à dire la tutelle brutale du Japon sur la Corée qu'il méprisait était peut être un peu moins cruel dans les années 1920 où, il me semble, se déroule le film. Mais les relations entre les deux communautés devaient être terriblement complexes....
Donc, dans la première partie du film, on fait connaissance avec la jolie et douce (quoique déterminée) Sooke (Kim Tae-Ri). Elle vit dans une communauté de voyous coréens; sa mère a été pendue pour vol; la bande vole des bébés pour les revendre aux japonais....
Hikedo (Kim Min-Hee) est une richissime héritière japonaise; après la mort de sa mère elle est recueillie et élevée par le mari de sa tante (coréen devenu japonais par mariage...). La tante est dépressive, et Hikedo est un peu cinglée aussi. L'oncle Kouzuki (Jin-Woong Choo) est un bibliophile forcené, qui s'est fait construire une espèce de château écossais avec des salles contenant des milliers de livres, et qui abrite dans ses sous sol une salle de torture avec dans un aquarium une pieuvre géante digne de celle du capitaine Nemo. En grandissant Hikedo est devenue très belle; elle troque ses jolis vêtements occidentaux pour une tenue de geisha afin de lire aux amis du Tonton, d'élégants messieurs en tenue de soirée, les livres favoris du collectionneur qui, vous l'aurez deviné, tiennent plus du marquis de Sade que de St Augustin.
Parmi ces pornocrates distingués s'est glissé un des voyous coréens, un très beau garçon qui se fait passer pour un Comte japonais (Jung-Woo Ha). Il projette d'épouser Hikedo, que l'affreux tonton convoite aussi et pour cela, compte sur l'appui de Sookee qu'il fait embaucher comme femme de chambre, et qui aura pour mission de convaincre sa maîtresse d'écouter les romances du Comte. Hikedo qui n'est jamais sortie de la demeure et a très peur des hommes (faut dire qu'avec les distingués cochons en frac, les seuls hommes qu'elle ait jamais rencontrée, elle a de quoi être dégoûtée) demande à Sookee de lui montrer ce qui se passe dans un lit au cours d'une nuit de noce...
En voiture Simone! Ah ah ah!! Pas du tout. Je vous l'ai dit, on a la tête à l'envers et le château de carte qu'on venait d'élaborer est écroulé des la seconde partie. Avec les mêmes on va écrire une autre histoire, et encore une autre, et des scènes vont être revues avec un éclairage tout à fait différent. On est sur une planche instable mais elle ne se contente pas d'aller d'arrière en avant; elle part dans tous les sens....
C'est magistral et c'est d'une beauté extraordinaire; la majesté des paysages opposés au côté effrayant de la demeure; avec des moments de pure poésie, comme la fuite des deux jeunes femmes dans la brume, Sookee déterminée, Hikedo soudain arrêtée par un petit muret.... Et c'est, de plus, magistralement féministe!
Ce film somptueux mais inclassable -à la croisée de toutes sortes de genres- est à voir absolument