Tourné sous le titre de Valencia, envisagé pour le cinéaste Damien Chazelle avant qu’il ne s’embarque pour Whiplash, 10 Cloverfield Lane fut “marketé” sur le tard par son producteur J.J. Abrams comme parent spirituel de Cloverfield (2008). Non pas la suite du film de monstre géant de Matt Reeves, mais un petit frère SF qui jouerait aussi finement sur les échelles, compresserait l’apocalypse.
Si Cloverfield mettait son Godzilla dans un cadre genre film YouTube, la première réalisation de Dan Trachtenberg (auparavant animateur de podcast geek et auteur d’un court basé sur le jeu vidéo d’évasion Portal) déploie un sentiment de fin du monde entre les quatre murs d’un bunker. Fuyant sa vie en voiture dans un prologue moite au parfum de Psychose, Michelle (Mary Elizabeth Winstead) a un accident et se réveille menottée dans l’abri souterrain bâti par Howard (John Goodman), qui lui assène qu’entre-temps, une mystérieuse attaque (des Russes ? Des extraterrestres?) a rendu le monde extérieur irrespirable et inhabitable. Sceptique, elle ne pense (d’abord) qu’à s’échapper.
Là où Cloverfield optait pour la caméra portée guérilla pour nous mettre sur des montagnes russes, 10 Clovefield Lane est bien plus posé mais tout aussi nerveux. La tension monte savamment alors que Michelle, comme le spectateur, cherche à percer les intentions de son “hôte”, agressif de bienveillance (Goodman, qu’on n’avait jamais vu aussi inquiétant depuis Barton Fink). Trachtenberg utilise bien toutes les ressources apparemment réduites de son décor, explorant les possibles portes de sorties, diversifiant l’air de rien les ambiances et ouvrant le film. Une cellule glauque façon torture porn à la Saw. Un conduit d’aération pour un remake de Die Hard (clin d’oeil, Winstead jouant la fille de Bruce Willis dans les deux derniers volets de la franchise). Un salon familial avec jukebox pour trip régressif eighties autour du jeu de plateau Destins et une VHS de John Hugues.
La métaphore donaldtrumpienne d’une Amérique repliée, bunkerisée, est très lisible mais la résonance politique de 10 Cloverfield Lane est moindre que son prédécesseur taraudé par le 11 Septembre. Et lorsque la dernière partie louche sur Steven Spielberg circa 2005, le film rate un peu l’envie d’Abrams de transformer Cloverfield en label, en anthologie de films hantés par l’esprit de Rod Serling, le showrunner de La Quatrième Dimension : là où les épisodes de la série se terminaient sur une pirouette existentielle se riant de notre libre arbitre, Tratchenberg préfère la leçon de vie, bien sûr très louable, de Unbreakable Kimberly Schmidt (série comique sur une prisonnière d’un bunker, lui aussi équipé d’un jukebox, décidément). Les femmes sont fortes, “strong as hell” et la grace butée de Winstead efface en un clin d’oeil son rôle de poupée cheerleader dans Boulevard de la Mort. Reste le charme d’une série B énergique, sans temps mort, où ne manque que le vertige radical du « voyage au bout de ténèbres » que promettait Serling sur petit écran.