T'as sous la main un acteur de génie ? Un huis-clos pas trop mal écrit ? Et si tu gâchais le tout avec une fin moisie ! Voilà, voilà... Je crois avoir pas trop mal résumé ce que j'ai à en dire. Ceci étant, il faut concéder que ça tient plutôt bien ses promesses sur, disons... les trois premiers quarts du film, allez, et que de ce point de vue le visionnage reste globalement agréable, voire conseillable à un amateur du genre. Pour ce qui est du genre, d'ailleurs, on dira "thriller à huis-clos" pour faire simple puisque, précisément, ce que le film a d'attrayant vient de sa façon de jouer tout du long avec ce que l'on croit savoir (y compris – et ça c'est intelligemment joué – avec ce que la promo ou le titre du film ont pu suggérer ou laisser croire), si bien que rien ne se décide aussi facilement en fin de compte, de savoir si l'on a bien affaire à de la séquestration, à de la science-fiction ou à du post-apo. Partant de là, le plaisir, pour autant que la chose a à en offrir, tient dans son petit art de ménager le suspense et, par conséquent, je ne saurais assez recommander à l'œil encore vierge de tout révélation qui se retrouverait devant cette critique de fermer instamment l'onglet et de ne plus rien lire avant d'être allé se caler dans un fauteuil rouge.
Encore là ? J'aurai prévenu, hein : gâchée la surprise, il ne reste pas énormément à se mettre sous la dent. Enfin si, tout de même : il y a John Goodman ; et s'il n'y a rien de très surprenant à ce qu'il soit parfait dans son rôle – je ne me souviens pas qu'il ait jamais été autrement que parfait dans un rôle, le bougre – là, il faut dire ce qui est : il est carrément, prodigieusement flippant ! Le centre de gravité du film, ça n'est clairement pas la fille mais lui, et sans doute que c'est un peu pour ça aussi que la fin part en vrille : parce qu'elle n'a plus son centre de gravité. Il faut voir que tout l'intérêt de l'intrigue réside dans ce que, rapidement, quoique sans arrêter de semer le doute, l'alternative présente au départ – à savoir : "le mec dit-il la vérité sur ce qui se passe à l'extérieur, ou bien est-il un dangereux psychopathe ?" – va céder la place à un plus intéressant car plus paranoïaque : "est-ce qu'il ne dit pas la vérité tout en étant un psychopathe ?" Or, c'est là que Goodman fait des merveilles : à souffler le chaud et le froid, à ménager dans chacune de ses apparitions le rassurant et l'inquiétant, à promener ce corps trois fois trop massif dont on sent en permanence la présence quelque part, à raidir sa face de molosse dans un air féroce qui t'annonce sans ambiguïté un homme dérangé, sans pour autant que tu puisses bien distinguer si dans cet homme dérangé tu as affaire à un pervers ou à un père traumatisé, autoritaire à l'excès sans être pour autant foncièrement malveillant... et Goodman de prendre un malin plaisir à jouer sur les deux tableaux et, ce faisant, d'épaissir son rôle d'une dose d'ambiguïté bien plus intéressante que ce que le film aurait eu à proposer s'il avait fallu s'en tenir à la façon dont il est écrit et filmé.
Parce que de ce côté-là, on a beau avoir quelque chose de pas trop mal fichu – le petit jeu des retournements de situation qui est bien mené, le rythme dans l'ensemble qui fonctionne – on ne peut pas dire non plus que ce soit d'une subtilité à retourner la tête : rien de mémorable à mentionner à la réalisation, assez nerveuse et soignée pour ne pas faire tache mais loin d'exploiter le décor du bunker aussi bien qu'elle l'aurait pu pour mettre en scène la promiscuité, la paranoïa ; rien de bien fou non plus – ni rien de honteux d'ailleurs... disons que ça suffit à rentrer dans le film, sans être exempt d'effets outranciers ou usés – rayon musique, ambiance ou écriture des personnages. Mais s'ils voulaient que le truc devienne vraiment suffocant, à la limite intolérable (toute proportion gardée bien sûr, on le sait que J.J. Abrams n'est pas Haneke, et de toute façon personne n'a envie en allant voir ça de se faire broyer le crâne façon Funny Games, il aurait fallu à tout le moins semer plus d'indices discordants, entretenir plus patiemment la peur, jouer des sous-entendus sans en faire des caisses – la scène du : "je vois tout, je suis partout" pendant la partie de jeu de société aurait pu être une vraie réussite, mais à trop forcer le trait elle finit par se désamorcer toute seule.
Puis surtout, il aurait fallu essayer de pas péter une durite sur le dénouement.
Et là, garez vos miches, parce que je passe en mode fontaine à spoilers.
On a donc la fin du huis-clos qui se précipite de façon totalement prématurée par rapport au rythme instauré jusque là, tout ça parce que ça veut se ménager vingt minutes de scènes spectaculaires bidon hors du bunker sans pour autant s'aventurer au-delà de la prudente heure quarante de film. Et faut bien le dire : en termes de connerie, c'est le festival ! On commence donc par clore l'épisode souterrain sur un Goodman tronche ravagée à l'acide qui, poignardant quinze fois le conduit d'aération dans lequel se trouve l'héroïne, réussit à passer quinze fois deux centimètres à côté de sa cible. Après quoi la fille, découvrant rien de moins qu'une invasion extraterrestre, donne pour toute réaction dans le : « sans déconner ?! » – où l'on sent l'intérêt qu'il y avait à passer tout le film avant ça à développer des comportements à peu près crédibles. Puis passé ce point, c'est fini... il n'y a plus de limite, plus de décence : va comme je te pousse qu'elle tatane de l'alien en cgi hideux – cruel moment de vérité, toujours, que celui où un film de SF se sent obligé de te balancer ses aliens face caméra –, qu'elle se protège d'un nuage de simili gaz moutarde avec une combinaison à base de rideau de douche, de gros scotch et de bouteille d'eau, et qu'elle t'improvise en cinq secondes chrono avant de le balancer quinze mètres plus haut à la seule force de son petit avant-bras un cocktail Molotov ayant à peu de chose près la puissance explosive d'une palette de C4... non, mais non... mais sérieusement ?...
Le dernier quart d'heure saccage le film de façon consternante.
Limite, il y a comme une rupture schizophrène qui s'est opérée dans ma tête entre le petit thriller à huis-clos sympa que j'ai vu hier soir et la copule grotesque dont il était affublé. Un truc pareil ne peut pas être autre chose qu'un ajout foireux sorti de la tête d'un producteur ; ça jure trop avec le reste, c'est pas possible. Puis c'est tout bête, mais tant qu'à surprendre, ç'aurait été classe que le film ose réellement aller où on ne l'attendait pas, qu'il coupe carrément les liens avec Cloverfield et s'arrête à la sortie de la trappe : que la fille se retrouve d'un coup complètement seule, et qu'on sache que quelque chose ne va pas, sans même savoir quoi. Ç'aurait fait râler, c'est certain, mais ç'aurait été tellement mieux... et ç'aurait épargné le déferlement d'effets cheap.