Au risque de me répéter d’une critique à l’autre : moi j’adore les films qui savent m’emmener vers l’inconnu, surtout quand cet inconnu est tracé par un film qui, très rapidement, démontre une maitrise formelle à toute épreuve. Pour moi c’est clairement le cas de ce « The Frame » qui se risque quand même à un postulat de départ hallucinant d’audace. Deux héros de séries télévisées se suivent mutuellement à la télé, ignorant que l’un est un personnage de fiction pour l’autre. Rien que ça, mais pour moi c’est juste : OUAH ! Essayer de construire des personnages empathiques pour les spectateurs que nous sommes, tout en rappelant en permanence qu’ils ne sont que des artifices narratifs visant à susciter de l’empathie pour nous, je trouve ça juste incroyablement culotté. C’est culotté parce que le dispositif pourrait s’écrouler à chaque moment : il pourrait alors ne devenir qu’un simple trip « méta » sans âme et bien rêche. Mais le pire, c’est que même si ce « The Frame » s’était réduit à ce genre de métafilm, je pense qu’il m’aurait quand même intéressé, un peu à la façon d’un « Adaptation » de Spike Jonze. Et pourtant, j’avoue être assez scotché de constater comment Jamin Winans a préféré porter notre attention sur ses stéréotypes plutôt que de les fuir afin que l’empathie marche plus. Parce que pour le coup, je trouve que le mélange démarche intellectuelle / démarche émotionnelle s’amalgame beaucoup mieux et produit du coup un objet filmique bien plus singulier. Et ça marche d’autant mieux que le film n’est jamais à l’arrêt. Les idées s’enchainent de plus en plus vite afin de plonger dans une sorte de trip intellectuel qui, dans le film, se transforme en véritable expérience métaphysique, voire ésotérique. Pour le coup je reconnais bien le Jamin Winans de « Ink », à la différence près qu’en cinq ans, le gars a clairement muri son cinéma. Alors après, certes, ce « The Frame » fait le choix de se conclure sur une forme de flou artistique, ne se risquant pas à une intellectualisation trop poussée et didactique de sa démarche. Mais au fond je ne lui en veux pas. Loin de là. Je trouve même avec le recul que c’était finalement le meilleur choix à adopter, surtout pour un Jaime Winans qui semble bien plus être un rêveur et un formaliste plutôt qu’un vrai philosophe dans l’âme. Ainsi, en concluant de cette manière, il laisse au spectateur une marge d’interprétation dans laquelle celui-ci est susceptible de s’y retrouver comme il l’entend. Et quand bien même le spectateur ne voudrait pas interpréter, au moins est-il livré à une certaine liberté de ressenti qui est loin d’être impertinente au regard de l’ensemble proposé. Parce qu’à bien y réfléchir, il y a quand même une véritable cohérence dans cette démarche, entre discours méta et parcours émotionnel en compagnie des personnages. A la fin,
tout se synthétise en une sorte de métaphore qui questionne à la fois notre rapport d’humain aux rigidités systémiques de la société, tout comme elle questionne la réalité du pouvoir d’un auteur sur son œuvre. Après tout, une œuvre parvient-elle à vivre vraiment si l’auteur n’accepte pas de se laisser surprendre lui-même par ses personnages ? Il y a toujours des choses qui nous échappent dans la création ; des éléments de l’œuvre qu’on n’a pas conscientisé mais qui sont malgré tout présents, et qui nous trahissent la plupart du temps sur ce que nous sommes, ce que nous percevons, ce que nous ressentons… Se laisser surprendre par ses personnages, c’est aussi laisser une œuvre prendre vie. C’est la laisser sortir du cadre et s’animer d’elle-même par une forme d’aléatoire et d’inconscient qui nous dépassent. A la fin de « The Frame », le monde ne s’écroule-t-il pas parce que, justement, le cadre fixé par l’auteur est trop rigide ? Les personnages ne se réduisent-ils pas justement à des stéréotypes parce que la raideur du script les contraint en permanence à des actions et des finalités simplistes ? Au final, l’œuvre reprend vie à partir du moment où la volonté des personnages échappent à la volonté du créateur. Ils existent en dehors du cadre fixé par le créateur. L’œuvre vit parce que l’auteur les abandonne, de gré ou de force. Le simple fait qu’un spectateur investisse l’œuvre et l’interprète à sa manière est en soit une dépossession de l’œuvre pour son auteur. Bon, bref, vous l’aurez compris, mais pour moi, ce final, il a clairement fonctionné
. Au bout du compte, j’ai beau faire des dizaines d’interprétations différentes du film, de sa démarche et de sa conclusion, tout ce que je retiens au final, c’est que j’ai été en apesanteur du début jusqu’à la fin. J’ai été transporté. J’étais à fleur de peau, littéralement. J’AIME ces films-là. J’aime ce « The Frame »… Et j’espère que, vous aussi, si vous lui donnez sa chance, vous saurez l’aimer à votre tour…