Sous une pluie torrentielle, dans la boue et le sang, un père se heurte aux spectres qui peuplent sa culture et hantent sa famille jusqu’alors effacés par la bedonnante routine ; bientôt se posera le choix entre le bien – blanc – et le mal – noir – si souvent emmêlés, versants antinomiques pourtant constitutifs d’une même médaille symbolique. The Strangers plonge le spectateur dans une lente descente aux Enfers dont il ne reviendra pas indemne, mariant pour cela les registres avec maestria pour mieux masquer le diable qui peu à peu dévoile son vrai visage terriblement polymorphe. L’effet de surprise, constant, désarçonne : toute grille de lecture préalablement établie s’annihile à mesure que le film avance en empruntant des chemins insoupçonnés, rappelant sans cesse cet appât initial auquel nous mordons avec un plaisir coupable. Perdus, nous voyons se créer devant nous un village dont nous respirons l’atmosphère oppressante et poisseuse, dont nous ingérons les croyances, les rituels et les visions cauchemardesques ; le portail familial, si souvent franchi, met en place une familiarité un temps réconfortante pour, par la suite, le transformer en interface, point de passage entre l’au-delà et l’en deçà où se rencontrent les préoccupations terrestres et les fantômes en quête d’âmes à prendre, de corps à habiter. La maison glisse, se mue en lieu non plus de gloutonnerie codifiée – accentuée par les nombreux plans de nourriture – mais en autel sacrificiel sur lequel gisent les membres aimés : l’appétit s’inverse, passe du goinfre initial avide de femmes et de mets à la petite fille innocente. The Strangers relate une initiation terriblement perverse, récit d’apprentissage d’une impuissance fondamentale devant des forces qui nous dépasse, d’une vacuité dans le réconfort à grand renfort de « ça ira mieux tu verras » et « papa va tout arranger » ; histoire également d’une inertie existentielle convertie en charge héréditaire, passant du père à la fille comme la transition d’un vide à l’autre. La mise en scène insiste d’ailleurs sur cet aspect, jouant du rythme lancinant puis brutalement accéléré, de sa musique souvent absente destinée à mettre en valeur des actions qui, à terme, n’auront aucun impact (les plans aériens sur la route), des accessoires telle la barrette rose, symbole de la fausseté à l’œuvre dans cette enfance en voie vers l’adolescence qui consacre un soin à son apparence, en vain. Le grotesque est utilisé comme un ressort horrifique, ce qui s’avère être une arme cinématographique des plus audacieuses puisqu’elle fait cohabiter un sourire et une hantise, l’un n’étant que la façade de l’autre dans cette farce généralisée pleine de bruit et de fureur, de gestes lancés en défi avec le divin pour finalement échouer. The Strangers, œuvre mémorable et forte, déconcertante et diabolique, géniale.