Que dire? Rien. Charriés par les turbulences de cette oeuvre dantesque, qui renvoie à la cour de récréation tous les films fantastico /horrifiques tournés jusqu'à ce jour, recrus d'images, ballottés de parabole en parabole, nous pouvons tout juste implorer: laissez nous reprendre notre souffle!
Que faire après ce film? Une thèse. Ah oui, il y a de quoi faire une thèse pour débrouiller les innombrables pistes de lecture qui foisonnent, qui nous envoient de droite et de gauche.... Histoire de fantômes, séances de chamanisme. Oui, mais avant tout, imprégnation chrétienne: le film commence par une lecture de St Luc, quand le Christ ressuscité dit à ses disciples: voyez, je suis vivant, vous pouvez me toucher, voyez les plaies à mes côtés, et s'achève sur une dernière scène où le héros, qui comme le spectateur n'y comprend rien, est sommé de prendre partie avant que le coq ne chante trois fois....
Eh oui, le spectateur est placé à la même position que le héros Jong-Goo (Kwak Do-Won), petit flic dodu et nigaud d'un village originellement sans histoire, jamais pressé de se lever mais toujours prêt à se mettre à table, et dont la devise serait plutôt "courage, fuyons". Sûrement plus habitué à arbitrer des bagarres entre poivrots qu'à affronter les horreurs qui vont se succéder.... Il vit paisiblement entre une femme charmante, une belle mère autoritaire et une malicieuse fillette, So-Yeon, qu'il adore.
D'abord, un couple est atrocement massacré. Le coupable est vite retrouvé, hagard, couvert de sang (et de pustules). Et puis, dans une maison incendiée il y a trois corps, lardés de coups de couteau. La raison dit que les coupables ont mangé des champignons empoisonnés, d'où les pustules, qui les ont rendus fous. Et les villageois: ce n'est pas oeuvre humaine! c'est un fantôme! Et, coïncidence (?), les faits ont commencé lorsqu'un étranger s'est installé au village: un bizarre et mutique japonais.... Bon, que l'étranger, bouc émissaire pour les coréens, soit un japonais n'est évidemment pas non plus un hasard. Je vous l'ai dit, il y a des pistes en tous sens...
L'étranger est il un fantôme? Est il identifiable à cet homme nu, vu par certains chasseurs, qui dévore les chevreuils morts à même leur panse, la tête dans les entrailles, et dont les yeux rouges brillent dans la nuit...
Tout cela se passe bien loin des grandes villes industrieuses, dans des montagnes dont on a des images sublimes, des petits hameaux disséminés autour d'un modeste centre, et partout, la forêt, dense, profonde.... Le japonais (Jun Kunimura) habite justement au coeur de la forêt, une maison isolée au dessus d'une clairière pleine de charognes....
Et puis un jour, voilà que c'est l'adorable So-Yeon qui se couvre de boutons, qui crache des obscénités.... L'esprit mauvais s'est emparée d'elle, et là, le paisible Jong-Goo pète un cable.... Ce que fait la petite actrice est prodigieux. Mrs Linda Blair et Sissy Spacek peuvent aller se rhabiller.... Tandis qu'un jeune étudiant en prêtrise essaye d'affronter l'étranger le crucifix à la main, la belle-mère convoque un puissant chaman; élégant jeune homme qui se déplace en grosse voiture; il est vrai qu'il faut emporter tous son matos.... On sait que le chamanisme, interdit en Corée pendant la très confucianiste période Choson puis l'occupation japonaise connait une vraie renaissance et pénètre la société, même évoluée. On ne s'étonne pas que dans ces campagnes reculées, il soit pratiqué, et on assiste à d'ébouriffantes cérémonies de lutte contre les démons, de part et d'autre, à grand renfort de coqs -sale temps pour la volaille....
Na Hong-Jin est un génie, que dire de plus. Comme Park Chan-wook a révolutionné le film noir en le portant à son plus haut point de tension, Na Hong-Jin transcende le fantastique/gore en opéra sanglant, en conte philosophique noir dont la morale est: quoique l'on sache, on ne sait rien. Quoique l'on croit voir, on ne comprend rien....