Cate Shortland ne se contente pas tout simplement de faire de cet nouvel épisode du MCU une Origin Story. Elle tente de combler une fossé narrative (se situant entre les évènements de "Captain America : Civil War" et "Avengers : Infinity War") qui restait jusqu'ici imperceptible dans la structure historique du personnage (tout le temps collé aux Avengers) de Scarlett Johansson rattrapé dans son parcours par un lourd passé jusqu'ici méconnu du grand public. Une occasion pour le personnage Romanoff Aqua Black Widow de séduire et de revendiquer son féminisme.
Lorgnant spécifiquement du côté du thriller d'espionnage (Jason Bourne/James Bond) : dans sa forme, construit sur fond d'un message politique entrelacé par des retrouvailles familiales habilement menées. Ce qui donne à l'ensemble un charme parfois intimiste.
Avec toutes ses clefs en main, Shortland fait de "Black Widow" une pépite toute aussi réussie qui se détache du modèle standard actuel (avec à ses côtés un "Wonder Woman" de Patty Jenkins).
Un divertissement généreux en terme de rebondissements, accompagnées quand bien même par de belles scènes d'actions comme Marvel nous y a tant habitué, dont la plupart semblent à peu près décrocher le niveau spectaculaire et d'autres nous semblent-ils étouffées par une adaptation trop martelée par une certaine absence de fluidité visuelle qui, malheureusement, les rendra illisibles !
Le scénario n'arrête pas de surenchérir son personnage principal (accompagné par ce soupçon de rejet de son passé et dont la petite sœur en fait partie) dans des scènes trop bavardes, soulignant un peu trop et pour un rien le caractère super-heroïque du personnage de Scarlett Johansson comme figure de prestige des Avengers.
Et là où ce nouveau film assorti de l'écurie Marvel devient plus intéressant à regarder, c'est que la réalisatrice entreprend de déconstruire toute une méthodologie fondée autour de la veuve noire : évoquant sans cesse des traumatismes enfuis dans un passé trouble, que Cate Shortland réactualise dans des scènes d'une intensité viscérale qui nous fait rentrer comme jamais au cœur du personnage de Scarlett Johansson et réussie à la faire transparaître à l'écran plus humanisée, plus attachante.
Black Widow est aussi une figure super-héroïque féminine qui n'a plus rien à prouver à qui que ce soit, ni rien à envier au genre masculin.
Derrière ce modèle super-héroïque singulier se cache aussi une portrait de femme brisée par des souvenirs lointains qui, dans sa quête d'autonomie se trouve au milieu une petite sœur (Yelena) à la fois forte, brave et d'une sensibilité magnétique ! Et semble à peu près masquée son admiration envers Natasha par son humour légèrement enfantine, apportant un contrepoids non-négligeable qui vient parfois bousculer la prestance du personnage de Scarlett Johansson : elle apporte une bouffée d'air frais à ce film qui se prend quelquefois un peu trop au sérieux.
"Black Widow" parcours dans ses traumatismes des thématiques assez lourdes sur la famille, la stérilisation forcée, le libre-arbitre -effleuré auparavant avec Le Soldat de l'hiver (Bucky Barnes) de Sebastian Stan dans "Captain America" dont le message semble finalement obtenir sa résonnance effective dans la série "The Falcon and The Winter Soldier". Ce message politique semble ici clairement plaider en faveur de la femme.
Découvrant dans sa fuite après les évènements de "Civil War" que la chambre rouge est toujours fonctionnelle et que des Black Widow sont manipulées, Natasha tente de reconstituer (sa sœur à ses côtés) une famille déjà brisée, afin de venir à bout à une menace qui garde sous sa tutelle les Widow toujours retenues captives par son ancien chef Dreykov qu'elle croyait retirer il y'a des années ! De la circulation.
Sans perdre ce charme familier souvent identifié à notre super-héroïne qui rentre à part entière dans la psychologie post Civil War, Cate Shortland (par l'intermédiaire d'une Florence Pugh qui vole presque la vedette à son aînée) voit en Yelena (enfin ! Libre de ses moyens) une occasion propice de lui concéder secrètement le privilège d'endosser la responsabilité d'une telle charge (épaulée par une Natasha qui donne toujours l'exemple) : dans l'abstraction d'une initiation aux origines dogmatiques super-héroïques, dont le plus fondamental est qu'"un grand pouvoir implique de grandes responsabilités" : adage que l'on doit d'ailleurs à oncle Ben de Spiderman.
Une nouvelle mythologie est sur le point de naître, axée sur une "remplaçante" déterminée et sûre à Natasha, en la figure de Yelena Belova qui permettra sûrement au MCU d'ouvrir une nouvelle page de son histoire, tout en refermant (violemment) une autre.
Cette distension familiale se ressent psychologiquement au premier abord dès leurs retrouvailles avec leur paternelle Alexei (David Harbour) qui fait brusquement refléter sur leur visage -par sa présence seule- un sentiment d'hostilité très marqué, soutenue dans son renouvellement par des échanges synchronisées (sans filtre qui tienne) se matérialisant sous forme de colère, évoquant par là des traumatismes de longues dates chez Natasha et Yelena.
Et s'il y'a vraiment quelqu'un qui a son mot à dire dans tout ce qu'à subit cette famille dispersée par les aléas de l'existence, puis rapprochée (par le temps) dans des contextes du moins assez compliqués, c'est vraiment Yelena Belova qui joue ici sur une double tragédies (encore fraîche sur ses épaules) dont celle d'une liberté jadis volée qu'elle arrive à peu près à reprendre et celle de son identité. Elle porte par moment, par sa fraîcheur, le film à elle seule sur ses épaules.
S'étirant de manière un peu exagérée sur des affaires de famille, "Black Widow" semble remuer sans cesse le couteau dans la plaie en se focalisant sur les souffrances du passé, là où il pouvait se raccourcir en longueur si certaines scènes n'étaient pas si bavardes. Et donnera souvent l'illusion de ralentir dans son évolution à cause de la balle qu'il s'est in-volontairement tiré dans la jambe.
Même si l'humour apporté par David Harbour se conjugue à peine à l'ambiance globale du film et ce, malgré les contextes, il réussit à apporter (pour quelques vieux lutins férus de ce classicisme marvelien) un léger décalage émotionnel qui vient atténuer ces retrouvailles un peu tendues.
Si le film joue sur quelques ellipses dans son circuit narratif, il cumule au passage quelques "invraisemblances" à propos de cette poursuite non moins acharnée entre Natasha/Yelena et Task Master (le "gars" masqué et les Widow (visiblement des experts en la matière) arrive à retrouver facilement les traces des deux sœurs. De plus on ne sait absolument rien des origines de ce gaz de synthèse), qu'il préfèrera nous épargner certains détails de son intrigue, pour générer en contrepartie un effet de surprise assez déroutante qui vient troubler ce semblant de quiétude flottante au-dessus de nos deux héroïnes. Une formule assez classique dans le genre, visant à entretenir une certaine frontalité avec la menace planante en question, rapidement démystifier dans les sous-sols du métro à Budapest.
Malheureusement, nous aurions tout simplement voulu chez "Black Widow" que la tension soit plus présente dans son évolution globale, un peu à la manière d'un "Jason Bourne" qui arrivait subtilement à retenir l'intérêt du spectateur toujours captif d'une tension qui va crescendo et repoussant constamment les limites du spectaculaire; si l'on sait par ailleurs que La Némésis à Natasha ne sert pratiquement à rien : un vulgaire accessoire qui sert à combler certains vides au passage. Et c'est là le point faible le plus fort de "Black Widow".
Les protagonistes ne sont que finalement peu développés : coincés entre des anecdotes révélées par Natasha comme des vestiges du passé. Et plus formatés comme jamais dans leur configuration pour représenter au final ce modèle archétypal du méchant lambda.
Moins soumis à une nécessité réactive/offensive permanente qui surplombe l'ambiance d'un incessant jeu de traque entre le chasseur et sa proie, en reprenant efficacement les mêmes ingrédients à "Jason Bourne" qu'elle enracine dans l'esprit du comics, Cate Shortland évite cette évidence, en plongeant le récit dans une dramaturgie (mêlant à la fois humour potache et retrouvailles), tout en prenant le temps de bien explorer en profondeur la psychologique de ses personnages féminins, afin de leur accorder plus de place sur l'écran.
Cate Shortland fait naturellement transpirer à "Black Widow" une sororité ambiante qui se conjugue à merveille avec la psychologie des personnages féminins, sans être trop forcer à noyer en substance son atmosphère de ce verbalisme féministe avec ses allures prétentieuses/autoritaires à deux balles (on pense à "X-Men Dark Phoenix" de Simon Kinberg). Elle accorde à chacune d'elles (par rapport à leurs traumatismes respectifs) ses instants de vertiges et de bravoure. Sans jamais se verser dans une implosion dramatique collective intense qu'elle arrive à dissoudre grâce à la présence de l'humour envahissante de David Harbour distillée dans cette ambiance parfois un peu trop maussade, afin d'affranchir le spectateur de cette lourdeur émotionnelle un peu assommante.
La réalisatrice tire (assez timidement) son épingle du jeu, en offrant à la gante féminine (dans le climax) ses instants de gloire dans des scènes de combats terrestres, puis aériennes (défiant la gravité) rendues possible grâce aux crachats numériques volumineux du studio... de quoi faire réveiller le physicien Isaac Newton (l'auteur de la théorie de la gravité) de son sempiternel sommeil.
Le Général Ross inutilement incrusté dans le récit, devient (suite à la violation des accords de Socovie) ce guignol ambulant qui court partout à la poursuite de Natasha Romanoff et des autres Avengers en cavale. Une attitude saugrenue (sans doute) de la part du studio qui, derrière toute cette fraîcheur inédite apportée par Shortland, essaie de rappeler à l'ordre sa réalisatrice qui, dans son concept, semble privilégier ses intérêts pour son histoire et ses personnages, plutôt que d'adhérer facilement à une certaine intégrité envers un univers déjà pré-établi.
Cate Shortland parvient à faire de "Black Widow" une œuvre qui jouit d'une certaine autonomie, sans vraiment chercher à l'identifier dans une généalogie cosmique (toujours ouverte : le MCU) : elle fait finalement de cet épisode-ci une œuvre à part entière qui a de quoi faire pâlir une "Captain Marvel" d'Anna Boden/Ryan Fleck.
Une nouvelle page s'ouvre rendant difficilement la digestion de la mort de Natasha Romanoff (explipsée par celle de Tony Stark), si l'on sait que le traitement globale accordé par Cate Shortland à Black Widow ne rend pas assez justice au personnage de Scarlett Johansson longtemps resté dans les placards du Studio (depuis 2004 je crois) avant qu'il ait droit à son propre film. Elle n'arrive cependant que tardivement, laissant derrière elle un vide considérable (vu la complexité et la richesse du personnage) qui ne fera que raviver encore plus notre nostalgie du personnage.
Malgré sa présence quasi minim sur l'écran, Rachel Weisz de "Constantin" parvient à rendre son personnage attachant et apporte par son charme inné une touche électrisante pour se qui reste.
La réalisatrice montrant entièrement son dévotion à la cause féminine fait la part belle aux femmes et néglige cependant le côté masculin. Car on aurait aimé un développement plus approfondie du personnage de David Harbour castré (à son tour) à jouer le comique de service, remplit quand bien même son contrat. Et reste la preuve évidente de l'image formaté qu'à le féminisme actuel sur le genre masculin considéré aujourd'hui comme le modèle par excellence de l'égocentrisme, du narcissisme.
"Black Widow" même dans ses instants fatidiques n'arrivera jamais à aller au bout de nos attentes, même s'il propose dans son paysage une panoplie de scènes d'action du moins acceptable dans l'ensemble (cependant, moins léchées par rapport aux autres Marvel). Il n'empêche ! Que Shortland remplie son contrat et nous fait passer un moment dans l'ensemble pas si désagréable que ça et fait de "Black Widow" une réussite qui passe légèrement au dessus de la moyenne. On reste quand même sur notre faim, après exposition de la scène post-générique qui promet (si l'on veut bien y croire) de belles choses à venir. Et qui sait, une suite plus explosive ! Et pour ça, seul l'avenir nous le dira.