C’est la première fois depuis bien longtemps que j’observe une organisme modèle naître au sein du du cinéma français, quelque chose qui ne soit ni trop élitiste ni trop blaireau, quelque chose qui puisse à la fois séduire les critiques (quitte à ce que ce soit avec les réserves de rigueur), convaincre le public sans le prendre pour un demeuré et s’exporter à l’international tout en traitant d’un sujet profondément français et en n’oubliant jamais que pour l’écrasante majorité du monde connu, un bon film, c’est avant tout une bonne histoire. Parce que bon, franchement, pour l’instant, les grosses productions françaises sont soit des Bessonneries décérébrées qui font simplement du blockbuster hollywoodien en moins bon, soit des comédies lourdaudes et friquées soit des adaptations de BD foireuses qui ne s’exportent pas...et c’est souvent dans les recoins peu fréquentés de la comédie dramatique qu’on écope des meilleures surprises : autant dire que pas grand monde n’en entend parler ! Revenons-en à ce ‘Au revoir là-haut’, que je ne suis pas loin de qualifier d’oeuvre “universelle� en ce sens que son rythme, son scénario, sa mise en scène, son ambiance me semblent à même de séduire un Américain autant qu’un Brésilien, un Russe ou un Chinois et qu’il balaie la plupart des principaux genres cinématographiques de sorte que fans de comédie, amateurs de drames et passionnés de films historiques n’y verront sans doute pas le même chose mais en tireront le même niveau de satisfaction. Revenons-en au film proprement dit, qui s’attarde effectivement sur des faits historiques d’une indéniable gravité : la souffrance et l’impossible réinsertion sociale des gueules-cassées, défigurées par la guerre et les balbutiements de la chirurgie réparatrice et les arnaques au patriotisme qui prirent place dans les immédiates années d’après-guerre, qu’on découvre ici sous la forme de rapatriements de cercueils remplis de cailloux ou d’Allemands auprès de familles françaises éplorées (véridique!) ou de vente de monuments aux morts qui ne seront jamais construits (inventé par Pierre Lemaître pour les besoins de son bouquin, prix Goncourt 2015). Et pourtant, ‘Au revoir là-haut’ ne s’arrête certainement pas à cet aspect mémoriel : on y trouve tellement d’autres choses qu’on peut aisément comparer la séance à un livre, qui vous ouvre potentiellement toutes les portes d’assimilation et de ressenti de son contenu et vous laisse choisir laquelle vous préférez emprunter. C’est un film qui dénonce : la guerre, les profiteurs de guerre et les autorités plus efficaces pour honorer les morts que pour tendre la main aux survivants, à laquelle Dupontel parvient à donner une coloration actuelle implicite. C’est un film qui émeut, avec ce mélodrame familial qui vous saisit à la gorge sans crier gare. C’est une galerie de personnages inoubliables : des salopards hauts-en-couleur - Lafitte est décidément né pour jouer les ordures! - , des honnêtes qui marchandent leur morale, des innocentes qu’on bafoue, des froids et des cyniques qui se fissurent. Et puis, malgré tout ce qui pourrait laisser penser le contraire, c’est un film souvent drôle, qui déborde d’humour noir avec cette arnaque peut-être trop ambitieuse pour ses instigateurs, ses remarques vachardes, son ton pince sans-rire et ses personnages aux réactions presque cartoonesques. Avec ‘Au revoir là-haut’, Dupontel sonne juste, tombe juste, filme juste : s’il n’est plus le punk qu’il était à l’époque de ‘Bernie’ et ‘Enfermés dehors’, s’il tente de s’imposer comme quelqu’un qui vise un certain mainstream en s’efforçant de ne pas être accusé de simplisme, c’est aussi un réalisateur qui estime que tourner ne se limite à planter une caméra dans un coin et à laisser les acteurs assumer tout le reste. Il y a des choses à filmer et il les filme, quitte à user d’effets et de mouvements de caméra tape-à-l’oeil que les plus snobs ne manqueront pas de taxer de cache-misère. Ces artifices n’en constituent pas moins un des grands atouts du film, capable d’inclure le spectateur très rapidement dans un Paris des années folles qu’on voit pourtant fort peu, alors que la sobriété aride de tant de productions historiques hexagonales se muent d’ordinaire en faiblesses impardonnables dès lors que les acteurs ou l’histoire ne convainquent plus totalement (et soyons réalistes, c’est presque toujours le cas). Ce soin apporté à l’aspect plastique du film se mesure aussi aux décors, aux objets, aux costumes qui ne se limitent pas à singer la précision et à la rigueur britannique ou la luxuriance hollywoodienne, mais y adjoignent une bonne couche de poésie et de fantaisie, qui évoque autant le Guillermo del Toro des débuts que Terry Gilliam : tout cela fait que Dupontel, même assagi, reste un phénomène atypique au sein du cinéma hexagonal. Bref, ravissement esthétique, montagnes russes émotionnelles, musculation à zygomatiques, tout en restant simple et accessible, ‘Au revoir là haut’ est sans conteste l’un des meilleurs films français de ces dernières années et constitue, même s’il doit beaucoup à la personnalité de son auteur, un modèle à suivre pour un cinéma autrefois universel et universellement apprécié mais qui a tendance à se replier de plus en plus sur son pré-carré et les recettes éprouvées et courtermistes.